Jacques Gillot-Péan 2024
Introduction
Depuis quelque temps certaines entreprises utilisent une nouvelle approche innovante de formation : le co-développement. Cela consiste à réunir un groupe de personnes autour d’une problématique professionnelle partagée et de lui trouver des solutions grâce à la mise en acte de l’intelligence collective.
Cette démarche mise à jour (notamment dans les hôpitaux et la fonction publique) par deux québécois dans les années 1990 s’est ensuite développée pour tous sujets qui n’ayant pas de réponse binaire supposent l’écoute et le témoignage de chacun des participants pour améliorer les pratiques professionnelles et les compétences d’une équipe.
Quels sont les enjeux et les finalités d’une telle approche notamment au regard d’une action de formation « classique » ou d’un groupe de travail au sein d’une équipe managériale ? Quels rôles jouent les différents acteurs impliqués dans les séances de co-développement ? Comment s’articule une démarche structurante de co-développement permettant d’apprendre par l’échange avec ses pairs et de traiter autrement une problématique ?
Enfin, afin d’éviter que chacun s’empare de cette approche pour le meilleur et pour le pire, quelles sont les conditions de succès et les risques liés à cette démarche ?
Le sens et les enjeux
Le co-développement se veut une démarche de formation permettant d’apprendre rapidement des autres sans « s’encombrer » de théorie et de produire à l’issue de chaque séance un plan d’action concret pour résoudre la problématique proposée.
Il diffère très sensiblement des approches de formation habituelles sur, au moins, cinq points qui correspondent aux enjeux essentiels de la démarche :
- Le primat de l’expérience sur la théorie : les apports d’un formateur-sachant non seulement ne représentent pas le cœur de la formation mais ils sont a priori exclus de la démarche sauf cas particuliers. L’apprentissage par l’expérience permet de retenir les points essentiels et de s’adapter plus rapidement au contexte de la problématique abordée.
- L’importance d’une communication bienveillante et empathique : dans une démarche de co-développement on ne trouve pas d’un côté le (ou les) sachant(s) et de l’autre le (ou les) apprenant(s). C’est l’écoute active mise en œuvre en permanence qui permet de se comprendre et de se « nourrir ». Elle facilite l’installation d’une relation de confiance et favorise les échanges.
- La prise de conscience que nous ne sommes pas seuls ou isolés : à toutes les étapes de la démarche le co-développement met en lumière le fait que la situation exposée par le participant-client fait écho chez chacun. Ce faisant, chacun devient apte à comprendre l’autre et à le soutenir.
- L’absence de certitudes « castratrices » : non orientées voire cadenassées par des apports théoriques préalables, les réflexions et les propositions se libèrent en co-développement. Se détacher de ses propres connaissances favorise la prise de recul et la créativité.
- L’impact de la confiance collective : si les rôles de chaque participant d’un groupe de co-développement sont bien déterminés, le syndrome du maître et de l’élève n’existe pas. Chacun est libre de s’exprimer, la confiance s’installe et grandit au fil des séances et la résolution collective du problème devient plus intelligente.
Les rôles des différents acteurs impliqués dans le process
Trois acteurs ou famille d’acteurs contribuent aux séances de co-développement. C’est de leur particularité et du respect du rôle de chacun que dépend, en partie, le succès de la démarche :
- L’animateur-facilitateur : il s’agit, en général, d’un manager confirmé ou d’un expert reconnu dans son domaine d’activité. Il exerce trois responsabilités essentielles : organiser les séances de co-développement (planning et rythmique), se porter garant du process et du cadre de la démarche, faciliter les échanges pour permettre l’apprentissage.
- Le participant-client : tous les participants sont des bénéficiaires des séances de co-développement. Ils peuvent être, au fil des séances, soit participant-client soit participant-consultant. Le participant-client est celui dont la problématique a été choisie par le groupe et qui fait l’objet du « contrat ». Sa responsabilité principale est d’exposer sa préoccupation ou son projet (un sujet pour lequel il veut voir clair et mieux agir). Il demeure dans une posture d’écoute, d’ouverture et d’apprentissage.
- Le participant-consultant : il s’agit donc de l’ensemble des membres du groupe qui durant la séquence ne sont pas « client ». Le rôle du participant-consultant porte sur la réflexion (approfondir la représentation de la problématique), le ressenti (clarifier ce qui fait écho chez lui) et l’action (aider le participant-client à trouver ses propres solutions).
La démarche structurante
Après le rappel du contexte, des règles de fonctionnement et le choix collectif du sujet qui désigne, de facto, le participant-client, une séance de co-développement dure environ 1h30 et s’articule très précisément autour de six séquences. Elles constituent les éléments structurants de cette démarche de formation :
- L’exposé (environ 10’) : c’est le participant-client qui présente son projet, sa préoccupation en mettant en lumière pourquoi c’est un problème pour lui et pas uniquement en général. Durant cette phase les participants-consultants restent exclusivement en position d’écoute et de prise de notes. L’animateur-facilitateur s’attache à garantir les rôles de chacun et à inviter le « client » à partager les éventuelles actions déjà mises en œuvre ainsi que ses attentes.
- La clarification (environ 20’) : ce sont les participants-consultants qui posent des questions factuelles et ouvertes pour clarifier la situation exposée. Le participant-client répond aux différentes questions et, ce faisant, précise son sujet. L’animateur-facilitateur reste très vigilant au fait que dans le questionnement des participants-consultants ne se glisse pas un conseil, une suggestion ou une interprétation.
- Le contrat (environ 10’) : c’est en premier le participant-client qui formule sa demande et ensuite les participants-consultants qui formulent leur version de la demande du « client ». Ensuite les deux protagonistes se mettent d’accord sur un contrat de consultation. L’animateur-facilitateur s’assure de la compréhension commune de la situation et de l’engagement de chacun.
- La consultation (environ 25’) : durant cette séquence, la plus longue du process, les participants-consultants proposent des retours, des idées, des expériences, des interprétations ou des suggestions. Le participant-client, lui, écoute, note et n’intervient pas afin de ne pas influencer les propositions. L’animateur-facilitateur veille à ce que les différentes zones de la problématique aient été abordées et que les solutions proposées restent claires et aillent à l’essentiel.
- La synthèse et le plan d’action (environ 10’) : c’est le participant-client qui synthétise toutes les informations recueillies et qui présente son plan d’action. Durant cette séquence, les participants-consultants écoutent le « client » et, en même temps, préparent la phase suivante. L’animateur-facilitateur veille à ce que le participant-client ne juge pas ou ne compare pas les différentes propositions mais partage avec tout le monde ce qu’il souhaite mettre en œuvre.
- L’apprentissage (environ 15’) : tous les participants expriment leur vécu de la séance de co-développement et les éléments qui constituent ce qu’ils ont appris dans leurs pratiques professionnelles. L’animateur-facilitateur remercie chacun pour la bienveillance des échanges et exprime lui-même son ressenti.
Conclusion
La rigueur dans le déploiement des différentes séquences qui garantit la spécificité de la démarche de co-développement n’interdit pas une souplesse dans l’animation des séances selon la composition des équipes et la nature du thème abordé pour favoriser les échanges et les confrontations.
Hormis le respect du rôle et des responsabilités de chacun des acteurs et du professionnalisme de l’animateur dans le déploiement de la démarche, cinq conditions de succès doivent être présentes :
- Le rappel régulier de l’objectif d’une telle démarche (l’apprentissage par l’intelligence collective)
- La mixité du groupe qui favorise la richesse et la diversité des expériences
- Le partage équitable du temps de parole pour ne pas « étouffer » ceux qui s’expriment moins facilement
- La réciprocité dans le partage des rôles entre « client » et « consultant » au fil des séances
- La transparence des règles du jeu qui permet une organisation apprenante
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