Jacques Gillot-Péan 2023
Introduction
La qualité de vie au travail est devenue un sujet central pour les entreprises et, bien entendu, pour l’ensemble de la communauté des managers. L’accord interprofessionnel du 6 juin 2018 relatif à la prévention et à la gestion des risques psychosociaux a proposé une charte pour instaurer un climat de bien-être au travail pour les organisations volontaires. Si le burn-out est connu et étudié depuis plusieurs années, deux autres types d’épuisement professionnel ont complété « la gamme » avec pour chacun d’entre eux une échelle qui permet de les qualifier et de les enregistrer comme maladies professionnelles : le bore-out et le brown-out.
- Le burn-out correspond donc à un épuisement professionnel résultant d’une surcharge de travail. Cette spirale dangereuse liée à la quantité de travail (réelle ou vécue comme telle) génère selon les personnes du cynisme, de l’indifférence, de la diminution de l’accomplissement au travail et, par conséquent, une réduction de l’efficacité professionnelle avant le basculement dans la maladie.
- Le bore-out correspond à un épuisement professionnel résultant d’une sous charge de travail. Cette spirale liée également à la quantité de travail se marque par un manque de stimulation et un ennui chronique. Ressentir de l’ennui au travail ne signifie pas que l’on soit systématiquement en bore-out mais l’ennui au travail est un risque psychosocial qui a pour conséquence possible le bore-out.
- Le brown-out correspond à un épuisement professionnel résultant d’une perte de sens au travail. Cette spirale liée à la qualité du travail se marque par le sentiment d’absurdité et d’inutilité face aux activités à réaliser. Le salarié reste fonctionnel et son mal être peut être difficile à discerner car il participe avant tout d’une démission mentale. Elle s’accompagne progressivement d’une diminution de l’estime de soi, d’un repli sur soi et d’une perte du sens de l’humour.
Alors quels sont les signaux faibles et forts pour identifier ces maladies professionnelles ? Comment les prévenir et les soigner ? Peut-on dire que le monde du travail est finalement dangereux ou le travail peut-il encore être considéré comme une source d’épanouissement personnel ?
Les signaux faibles et les signaux forts :
Les démarches de prévention des risques psychosociaux (RPS) demandent de s’adapter à un nouveau contexte dans le monde du travail issu du confinement de 2020. Les syndromes ont des spécificités qui les rendent difficiles à identifier. En voici quelques-uns :
- Pour le burn-out : comme pour les autres RPS il n’a pas de définition médicale précise ce qui rend toute évaluation compliquée. Toutefois, les collaborateurs touchés par le burn-out ont souvent les mêmes caractéristiques : consciencieux, exigeants, serviables pour les autres, ambitieux, ils « ne prennent pas le temps de souffler ». Ils ont tendance à s’isoler et à nier leurs difficultés. Le burn-out reste un syndrome de l’échec à l’adaptation.
- Pour le bore-out : l’ennui professionnel et le bore-out ne sont pas dans une relation d’équivalence mais dans une relation de conséquence : l’ennui est un RPS (manque de stimulation ou sous charge de travail) et le bore-out en est la conséquence. Avec toute la prudence concernant la fiabilité du diagnostic, on observe généralement les signaux suivants : un absentéisme accru, une réduction des performances inexpliquée, une augmentation du stress, une perte des initiatives ou un développement du sentiment de culpabilité.
- Pour le brown-out : dans cette forme d’épuisement professionnel, le mal-être peut être plus difficile à discerner car ils participent d’une démission non pas fonctionnelle mais mentale. On observe généralement que les personnes à risque sont souvent des personnes possédant un bon niveau d’étude et dont le travail ne sollicite pas assez les connaissances ou les compétences. Quelques signaux permettent de repérer la situation à risque : sentiment et expression d’inutilité du travail à réaliser, crise existentielle, sentiment de lassitude, perte d’attention dans la réalisation des tâches, dégradation des relations professionnelles.
La prévention et la gestion des maladies professionnelles :
Le management opérationnel reste comptable du niveau de stress qui règne au niveau de son unité car il est en première ligne pour pouvoir observer ce qui se passe dans l’environnement du travail. Le manager ne doit pas se laisser « aveugler » par l’implication forte d’un collaborateur : parfois, c’est justement parce qu’un collaborateur « se donne à fond » qu’il peut se « brûler les ailes ».
Quelle que soit la nature du risque (burn-out, bore-out ou brown-out), le manager de proximité peut anticiper « l’accident » en ayant repérer les signaux classiques (irritabilité, absentéisme, isolement, perte de lien social,..) et, surtout, en mettant en place des pratiques préventives :
- Le rituel des échanges individuels : hormis le fait qu’un manager doit suivre régulièrement les activités et les résultats de chacun dans le cadre d’entretiens professionnels dédiés, il doit aussi profiter de cette occasion pour entendre tout aussi régulièrement son collaborateur sur la façon dont il vit son métier (les interrogations, les plaisirs, les doutes et les difficultés).
- L’application du « management baladeur » : les actes relationnels au quotidien fournissent beaucoup d’informations : prendre le temps d’aller dire bonjour, de serrer la main, de boire un café, d’échanger de façon informelle permet souvent (quand on est dans une authenticité relationnelle) d’identifier des changements de comportements porteurs de sens.
- La répartition équilibrée de la charge de travail : la tentation est grande pour un manager de confier plus de tâches, des tâches plus complexes, des tâches plus responsabilisantes à des collaborateurs compétents et impliqués qui s’y attèlent avec zèle. Satisfait, le manager ne voit pas (ou ne veut pas voir) la fatigue croissante chez son collaborateur, le déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, le stress lié à des prises de responsabilité qui peuvent conduire au burn-out. Et parallèlement, les autres collaborateurs de l’équipe « sous employés », peu accompagnés voire délaissés peuvent vivre le bore-out ou le brown-out.
- La posture de bienveillance : il s’agit d‘énoncer clairement les règles en matière de disponibilité du manager comme celles concernant la garantie de confidentialité et de faire vivre ces règles (pas d’effet d’annonce sans lendemain). C’est à ce prix que le sentiment d’appartenance et d’intégration se constitue luttant contre l’apparition des sources de démotivation.
- La mise en place d’espace de dialogue au sein de l’équipe : dans le cadre de rencontres informelles les collaborateurs peuvent raconter leurs joies et leurs peines, leurs difficultés et leurs craintes. Ce faisant, ils reçoivent de la part de leurs collègues des marques d’attention, des encouragements voire des conseils qui rompent l’éventuel isolement.
La dangerosité du monde du travail :
La question du sens et de la qualité de vie au travail dépasse aujourd’hui les générations. La pandémie du Covid et le confinement ont accéléré la prise de conscience sur cette problématique en mettant en lumière l’importance de la souffrance psychique et physique au travail. Et rien n’y fait : la mise en place d’espaces de dialogue, d’aires de repos ou de jeu au sein de l’entreprise, d’interventions de coachs relationnels, d’ouverture plus marquée au télétravail n’amènent pas de diminution significative des risques psychosociaux et des « accidents » du travail.
Parallèlement, un monde sans interaction avec l’extérieur, sans sens et sans sentiment d’utilité (ce qu’éprouvent tous ceux qui sont au chômage) ne rend pas la santé, bien au contraire.
Ce n’est donc pas le travail qui présente un risque pour la santé mais bien les conditions dans lesquelles il est pratiqué. Le travail reste un lieu de sociabilisation, le travail stimule l’individu, le travail apporte de l’argent pour assurer son bien-être, le travail offre un statut social pour répondre à un besoin fondamental de reconnaissance.
Aussi le travail, hormis les impératifs de productivité et de justice sociale, doit prendre en compte et intégrer les besoins nouveaux des salariés : construire un cadre de travail bienveillant, offrir davantage d’autonomie, donner davantage de sens aux actions pour améliorer la qualité de vie au travail.
Ce n’est pas le travail mais les conditions de travail dégradées qui exposent les salariés à des risques psychosociaux qui se combinent et s’alimentent.
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