La tartufferie du coaching relationnel en entreprise ?

La tartufferie du coaching relationnel en entreprise ?

Jacques Gillot-Péan 2022

 

 

 

 

Introduction

 

 

Depuis son apparition en France dans les années 1990, le coaching a fait ses preuves dans le monde du sport de haut niveau et dans les milieux de l’entreprise où l’idée d’un accompagnement sur mesure s’est faite de plus en plus ressentir en complément des formations collectives. Cette approche connaît sa pleine maturité et permet réellement l’évolution voire la transformation d’un manager ou d’un dirigeant dans sa prise de fonction, la résolution d’une problématique particulière et complexe ou la maîtrise circonstanciée des jeux de pouvoir.

 

Toutefois, depuis quelques années, des démarches de coaching dit « relationnel » pullulent autours des industries et des entreprises de service profitant de l’essor du concept de RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale). Certaines entreprises utilisent cependant ce noble concept pour le pervertir et convaincre le public qu’elles sont des acteurs du capitalisme humain, que leur appétit de rentabilité, leur agressivité voire leur cynisme concurrentiel connaissent certaines limites et qu’elles sont soucieuses du bien-être de leurs salariés.

 

Sans jeter l’anathème sur ces démarches ni vouloir être outrancier dans nos propos, il convient d’observer et d’analyser ces pratiques avec vigilance et réserve.

Si le coaching relationnel ne mérite sans doute pas ni cet « excès d’honneur » (que leur accorde nombre d’articles nourrissant un marché florissant) ni cette « indignité » (quand il prétend être la solution à tout et pour tous), il nous faut comprendre ce phénomène de mode et mettre en lumière un ensemble de repères liés aux pratiques même du coaching, au « statut » du coach ou encore au contrat qui lie le coach avec son client (le coaché) et son commanditaire (l’entreprise). C’est en toute conscience de ses apports mais aussi de ses dérives qu’il faut aborder cette approche du coaching relationnel.

 

 

Un terrain vague et des ensembles flous

 

 

Plus qu’un effet de mode passager, le coaching est un marché florissant qui touche tous les secteurs d’activité et tous les types d’entreprise. Pour autant, cette activité ne connaît aucune réglementation sérieuse et le cadre juridique reste vide.

Face à cette situation étonnante, quiconque peut se déclarer coach et face à ces très nombreuses déclarations, les entreprises éprouvent bien des difficultés à distinguer le grain de l’ivraie, à faire la différence entre un coach professionnel et un pseudo-coach. De plus, certaines entreprises souhaitant « réguler » les tensions internes s’offrent à bon prix, compte tenu de la concurrence, les services d’un coach qui « se met à l’écoute » de ses managers.

Lorsqu’il s’agit d’un coaching dit « technique » (prise de fonction, développement d’une compétence spécifique sur un métier, organisation du travail, etc…) qui s’apparente, d’ailleurs, d’avantage à une formation individuelle ou lorsqu’il s’agit d’un coaching dit « stratégique » (élaboration d’un plan à moyen terme, restructuration d’une activité, etc…) qui s’apparente, d’ailleurs, plus à du conseil, le choix pour l’entreprise s’avère rationnel. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un coaching dit « relationnel » (travail sur les comportements, les « softs skills », les relations inter personnelles, etc…), les dérives peuvent être légions. C’est sur ce territoire où les offres apparaissent pléthoriques que le charlatanisme prospère : cela va de l’escroquerie sans conséquence avec des séances de « psycho-papouilles » indolores et inodores jusqu’à des pratiques sectaires pouvant mettre en cause l’intégrité physique et mentale de la personne coachée.

Le processus d’accompagnement d’une personne dans sa vie professionnelle ou personnelle ne peut donc pas échapper à l’existence d’un code déontologique solide.

 

 

 

Le rôle et la responsabilité du coach

 

 

On trouve de tout dans le monde du coaching relationnel : d’anciens managers d’entreprise qui souhaitent monter leur propre business, des entraineurs d’équipes sportives qui font fructifier leur notoriété médiatique, des formateurs qui veulent compléter leur offre « commerciale », des autodidactes ayant un fort charisme et qui tentent l’aventure du coaching, … Qui a « tâté » un peu de sophrologie, a participé à un parcours de développement personnel sans parler d’approches plus « obscures » comme la numérologie, l’astrologie ou la morphopsychologie, peut, in fine, se déclarer coach. Même si certaines formations commencent à apparaître comme références, il n’y a pas de diplôme officiel de coaching qui prédétermine la pratique de cette activité.

Si une relation de confiance et d’empathie avec le client favorise toujours le travail, le coach ne peut pas se positionner comme un ami. Il n’est pas non plus un thérapeute même si, parfois, le travail demande d’explorer le passé du client pour comprendre le présent. Autrement dit, il ne peut y avoir de coaching « professionnel » sans la formalisation d’un contrat qui clarifie, en amont, l’objet de l’action, l’objectif poursuivi par les partenaires (client et commanditaire), le cadre déontologique, les outils utilisés, la durée ou le nombre de séances et le prix.

Enfin, le risque est grand aussi pour le coach d’installer (volontairement ou non) une relation de dépendance vis à vis du coaché : plus qu’une « caisse de résonnance » grâce à l’empathie qui favorise l’intervention, le coach devient progressivement non seulement le consultant professionnel mais le confident, le conseiller matrimonial, le « docteur des bobos à l’âme » y compris au cours de séances « sauvages » (hors du protocole prévu) ; il crée le phénomène d’assuétude chez le coaché, contradictoire avec le souci d’autonomie prévu dans tout coaching. Sans un protocole de supervision régulier pour le coach, celui-ci risque de perdre son « hygiène mentale ».

 

 

 

Le coaché objet ou sujet de son coaching

 

 

Aujourd’hui le recours au coaching se « démocratise » même dans des contextes où il n’existe pas de crise spécifique ou de difficultés particulières et les bénéfices de cette démarche sont reconnus. En revanche, certains coachés font appel à un coach pour de mauvaises raisons : ils attendent des clés de la réussite immédiate, des sortes de  vade-mecum  faciles à mettre en œuvre sans faire le travail de prise de conscience et d ‘analyse de leur mode de fonctionnement. Ils exigent du coaching un maximum de résultats sans s’impliquer véritablement. Face à ce type d’action, ils sont « objets » et non pas « sujets » de leur coaching. La tentation est grande alors chez certains coachs de répondre à cette demande implicite de leur client, de jouer le rôle de  deus ex machina  qui flatte leur ego. Avec cette dérive de la pratique, le coach et le coaché entre dans un jeu de dépendance et de contre dépendance. Seuls peuvent se faire coacher ceux qui acceptent de se remettre en question ou, au moins, de remettre en question leur façon d’appréhender et de régler leurs « problèmes » et qui s’impliquent totalement dans le processus. Ainsi, pour éviter tout symptôme de dépendance, la règle éthique du coach, avant d’envisager toute intervention, est de vérifier la réelle motivation du coaché à s’impliquer dans l’action ainsi que la faisabilité de l’objectif à atteindre.

Si la tentative de dépendance existe malgré tout, elle doit être nommée et traitée par le biais de questionnement « quel est le besoin qui se cache derrière cette dépendance ? ».

 

 

 

La confusion des genres entre « client » et « commanditaire »

 

 

Dans le cadre d’un coaching, la quête du client (le coaché) est de comprendre son mode de fonctionnement pour développer ses capacités personnelles et être en réussite professionnelle. La quête du commanditaire (l’entreprise) est généralement d’accroitre la performance et l’efficacité des acteurs de l’entreprise. De plus pour éviter tout risque de dépendance, le client doit démontrer une réelle motivation et implication. De la même façon, pour éviter tout blocage ou rejet, le commanditaire doit avoir une culture d’entreprise compatible avec ce type d’action (sinon il faut préférer d’autres approches plus classiques comme le consulting ou le recours à des experts).

Si ces conditions sont réunies de part et d’autre (entre le client et le commanditaire), chacun trouvera du sens et de l’intérêt : le coaching apportera alors une réelle valeur ajoutée. En revanche si l’objectif du coaché diffère de celui de l’entreprise, le coaching sera inefficace voire irréalisable. Par souci de loyauté envers ses deux interlocuteurs dans cette relation triangulaire, le coach doit mentionner au commanditaire cette incompatibilité d’objectif et proposer de rompre le contrat.

Lorsque l’entreprise fait appel à un coach externe, la question de la loyauté s’avère plus simple dans la mesure où le coach, déontologiquement, privilégie toujours sa relation avec le coaché (même s’il reste toujours « transparent » avec le commanditaire). En revanche, lorsqu’il s’agit d’un coach interne la loyauté comme la neutralité posent problème. Du fait de son appartenance à l’entité qui « le nourrit », il ne dispose pas du recul et de la liberté nécessaires pour réaliser un coaching relationnel.

 

 

 

Conclusion

 

 

Comment parler d’une activité (le coaching) et d’une pratique (coaching relationnel) non réglementées, basées sur le potentiel humain avec tout ce que cela génère d’interprétation et de confusion ? Comment croire à l’efficacité d’une telle démarche quand on observe tous les jours les approximations, les « coups de canif » dans la déontologie voire les dramatiques dérives sectaires ? Ce marché, pourtant florissant, n’est-il qu’un effet de mode qui se dégonflera aussi rapidement qu’il est apparu ou une tartufferie qui sera démasquée à la révélation d’un énième scandale ?

Le coaching a besoin de valeurs, de concepts, de cadre juridique, de pratiques et d’outils validés pour garantir sa légitimité. Bien entendu, elle reste une activité humaine : si ce n’est pas une science exacte elle n’a pas pour autant vocation à devenir une pratique inexacte. Dès que les entreprises intègreront le coaching dans leur offre de développement des compétences, celui ci aura réellement acquis ses lettres de noblesse.

 

 

 

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