Jacques Gillot-Péan –2021
Introduction
La caractéristique du manager stratégique (au regard du manager opérationnel ou du manager de manager) c’est de produire une vision pour son entreprise et la traduire en ambitions puis en objectifs à moyen et long terme ; c’est de garantir la pérennité financière et économique de la structure sans quoi rien n’est possible dans le temps ; c’est, enfin, de veiller à la cohésion de la communauté humaine qui compose l’entreprise pour faire en sorte que le projet soit mis en acte sans trop de résistances, de tensions ou de conflits.
Toutefois le dirigeant (ou manager stratégique) n’agit pas « hors sol », ne vit pas sur une île déserte ; il n’existe pas de pensée magique : sa confrontation fructueuse avec les différents partenaires qui composent son entourage constitue une des ressources importantes pour sa « production ». Il convient, donc, pour le manager stratégique de bien identifier et qualifier sa carte des partenaires et de mettre en place des actions adaptées pour la faire évoluer.
Un partenaire est, par définition, un acteur qui établit une relation d’alliance, de neutralité ou d’opposition avec le dirigeant. Tout autre mode de relation est exclu : l’indifférence revient à la neutralité et la soumission ou la rébellion ne sont pas des postures d’acteur mais d’esclave ou d’enfant.
L’opposition
L’opposition repose sur de multiples facteurs rationnels ou psychologiques et peut s’exprimer dans différents domaines : l’opposition d’intérêt, l’opposition de styles ou de valeurs, l’opposition statutaire (par exemple, la vocation d’un contrôleur est de s’opposer à un développeur), l’opposition affective (confrontation d’ego et de narcissisme), l’opposition « historique » (liée à une histoire, un passé où chacun ne sait plus vraiment « qui a commencé » et « ce qui s’est passé réellement »).
Pour faire évoluer sa carte des partenaires face à un opposant (autrement dit pour l’empêcher de se mettre au travers de sa route), le manager stratégique dispose de trois choix :
- Le « meurtre symbolique » consistant à écarter ou éliminer l’acteur de son champ d’influence
- Le « muselage » consistant à réduire progressivement les ressources de l’acteur et, par conséquent, son pouvoir de nuisance
- La négociation consistant à transformer une relation d’opposition en relation de neutralité (il ne faut pas rêver de transformer un opposant en allié).
La première option reste la meilleure des trois car elle est radicale. Toutefois elle comporte un risque : il ne faut jamais « injurier l’avenir » et on n’est jamais vraiment sûr que l’opposant a perdu son pouvoir de nuisance pour toujours.
La deuxième option apparaît plus « douce » mais elle nécessite une vigilance de tous les instants (« le diable ressort toujours de sa boite ») autrement dit elle peut devenir très consommatrice d’énergie et de négativité.
La troisième option semble plus « tactique » ; elle n’est possible qu’à deux conditions : l’opposition est de nature rationnelle (intérêts divergents ou statutaires) et le rapport de force est en faveur du manager stratégique ou, a minima, équilibré (on ne négocie pas si on ne dispose pas du pouvoir d’arbitrer d’une façon ou d’une autre).
La neutralité
La neutralité repose sur une position d’attente de la part du partenaire. Il n’a pas encore fait son choix (opter pour l’alliance ou l’opposition) ; il diffère sa décision en mesurant ses marges de manœuvre, en faisant l’analyse des menaces et des opportunités. Il espère ou attend, peut-être, des signes de la part du manager stratégique, des propositions, des ouvertures.
Toujours est-il que cette position reste ambiguë et transitoire : elle nécessite donc, de la part du manager stratégique un grande circonspection et trois tactiques essentielles :
- L’ouverture : mettre en place un dialogue avec ce partenaire pour l’aider à opérer ses choix et, dans la mesure du possible, transformer la neutralité en alliance
- L’observation : détecter les signaux (même faibles) qui sont autant d’indicateurs de l’évolution de la position du partenaire et identifier ses attentes qui lui permettront de faire son choix
- Le « meurtre symbolique » : considérer le neutre comme un opposant et l’éliminer de la même manière si l’occasion se présente (« au cas où… »).
Parfois, la neutralité est consubstantielle à la personne. Il s’agit peut-être d’indifférence ou de difficulté intrinsèque à s’engager. Pour un manager stratégique, le « commerce » avec ce type de partenaire peut être agréable et sympathique d’un point de vue relationnel, il demeure pas ou peu « nourrissant » pour porter un projet ou une ambition dans le temps.
L’alliance
L’alliance repose sur de multiples motifs ; elle prend des formes diverses et contrastées :
- l’adhésion pleine et entière au projet du manager stratégique
- le respect par principe de la légitimité du dirigeant
- la coïncidence entre le projet du manager et ses propres intérêts
- l’admiration voire l’amour pour la personne.
Qu’importe, l’alliance demeure le partage d’une vision du monde, d’un projet, d’un succès ou d’un échec.
Toutefois, l’alliance n’a rien à voir avec de la dépendance, de la soumission ou d’un « deal » suspect. Il ne s’agit pas d’un donnant-donnant où chacun cherche à tirer partie de l’autre (comme dans le cadre d’un réseau ou d’une mafia). Il ne s’agit pas non plus d’une aliénation où le partenaire perd sa distance critique et sa liberté de jugement : un véritable allié ne suit pas aveuglément le manager stratégique dans ses excès ou ses combats perdus d’avance.
Ce qui unit le manager stratégique et son partenaire allié c’est une pensée commune, une espérance et une ambition au service d’une collectivité humaine.
Conclusion
La carte des partenaires d’un dirigeant doit être analysée à l’interne comme à l’externe. Toutes les tactiques pour faire évoluer cette carte sont affaires d’opportunités et de tempérament. Toutefois, il est dommage de se priver d’un allié potentiel et si le manager stratégique doit savoir faire preuve de dureté, il doit, avant tout, privilégier la générosité et la magnanimité.
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