Jacques Gillot-Péan 2023
Introduction
Dans une société caractérisée par une profonde crise de l’autorité, les repères traditionnels sont bouleversés. Le monde de l’entreprise n’échappe pas à cette lame de fond où les managers éprouvent des difficultés à accompagner les nouveaux collaborateurs, la génération Z, tant les injonctions semblent paradoxales : les « digital natifs » expriment d’un côté (sur le plan individuel) un besoin fort d’autonomie et de liberté et de l’autre (sur le plan collectif) un souhait de rencontre et de collaboration ; ils rejettent les postures managériales verticales et en même temps expriment le besoin d’être guidé par un responsable offrant du sens, une organisation et une main ferme en cas de conflit. Entre le vide et le trop plein il y a de quoi en perdre son latin managérial : comment allier ce qui s’apparente parfois à une chose et son contraire ?
Quelles sont les caractéristiques de cette génération Z notamment au regard de celles que l’on a nommé X puis Y ? Existe-t-il des tendances lourdes pour les décrypter ou sont-ce des clichés qui nous permettent de justifier notre cécité managériale ?
A l’heure de la transformation digitale et culturelle des entreprises, de la complexité croissante de leur environnement, la cohabitation manager-collaborateur se doit d’être revisitée.
Dans le monde de l’entreprise, le devoir d’efficacité reste encore tout aussi important que celui de la satisfaction des acteurs : alors, comment identifier plus clairement les attentes des membres de la génération Z et comment dessiner les chemins du possible pour valoriser la relation entre le manager et le « digital natif » ?
Les X, les Y et les Z
On les appelle les Z parce qu’ils sont nés après les X et les Y et marquent les différents temps de l’apparition puis des révolutions technologiques. Depuis la naissance d’internet aux États Unis en 1965 puis de son arrivée en Europe à la fin des années 1980 jusqu’à la « bombe » des réseaux sociaux aujourd’hui sans parler du nouveau tsunami qui se profile avec l’intelligence artificielle, toutes ces générations se définissent par rapport à ces technologies : toutes les aiment avec passion mais toutes ne la vivent pas de la même façon.
- Les X sont les enfants des baby-boomers nés entre 1965 et 1980. Cette génération a connu un creux de vague au niveau professionnel. Des crises majeures comme les chocs pétroliers, la guerre froide ou l’avènement du digital ont tué l’insouciance. Par conséquent la valorisation par le travail est au cœur des préoccupations. Cette génération stressée, égocentrée éprouve des difficultés à s’adapter aux nouvelles situations mais s’impliquent dans l’entreprise car ce sont elles qui leur ont permis de découvrir et d’utiliser des « TIC » (Technologies de l’Information et de la Communication) dont ils ne disposaient pas à titre personnel.
- Les Y sont nés entre les années 1980 et 2000 dans un monde digital qui a créé un fossé générationnel. La télévision, les jeux vidéo, l’internet et le digital s’invitent dans tous les domaines et apparaissent, à leurs yeux, plus influents que la famille, l’église, l’école ou l’armée autrement dit que toute forme d’autorité traditionnelle. La chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide donnent la promesse d’un monde pacifié : la peur ayant disparue, les Y n’hésitent pas à changer d’entreprise, à voyager, à tenter des expériences en tirant à chaque fois parti de la refonte du modèle professionnel. Leur credo c’est le pragmatisme et la mobilité.
- Les Z nés entre 2000 et aujourd’hui ont toujours connu la technologie avec le smartphone comme nouveau « doudou » d’où leur nom de « digital natifs ». Z c’est la dernière lettre de l’alphabet et cette génération se comporte comme si elle n’avait plus de temps à perdre, comme s’il ne devait y avoir plus rien après eux. Plus que le monde de l’internet c’est celui des réseaux sociaux qui enveloppe cette génération avec l’idée fondamentale que tout doit être montré et tout de suite : c’est la génération de la transparence et de l’immédiateté. Arrivant maintenant sur le marché du travail, elle ne souhaite plus juste bosser mais avoir une cause à défendre ou un projet à mener, elle travaille de manière créative et collaborative gravitant toujours autour d’un réseau.
Les craintes des managers vis-à-vis des Z
Les propos, comportements et réactions des collaborateurs de la génération Z échappent à toute raison, du moins à la raison qui prévalait pour les générations précédentes. Les managers issus du monde d’avant rencontrent des difficultés pour trouver les mots justes, adopter une posture congruente ou déployer une approche pertinente au regard de ce public nouveau. Certains expriment même des craintes concernant leur rapport aux « digital natifs » :
- La crainte de la rébellion : les collaborateurs de la génération Z paraissent parfois désabusés mais ils restent toujours très impliqués. Ils défendent en permanence des causes sur internet ou un réseau social, recherchent du sens, protestent contre toute forme d’inégalités ou d’inaction climatique, et, donc, rejettent des schémas de pensée qu’ils jugent obsolètes. La génération Z veut être reconnue et considérée, obtenir rapidement des responsabilités et prendre part aux décisions.
- La crainte de la bulle du monde virtuel : les collaborateurs de la génération Z naviguent en permanence entre le monde réel et le monde virtuel. Ils sont capables à un moment de faire la queue et dépenser de fortes sommes pour acquérir un objet « culte » ou « signé » (donc apparaissent comme très matérialistes) et à un autre moment (le plus souvent d’ailleurs) se réfugier dans leur monde du Web et des Réseaux : ils veulent vivre des expériences, recherchent le plaisir immédiat. Une grande majorité de la génération Z refuserait un travail qui ne répondrait pas à un enjeu sociétal ou ne permettrait pas de garder indépendance et liberté de manœuvre.
- La crainte du narcissisme égoïste : les collaborateurs de la génération Z apparaissent très autocentrés : ils se filment régulièrement, font des selfies en permanence et partagent sur les différentes plateformes les coulisses de leurs « créations ». Ils sont avides d’expériences nouvelles et de visibilité. La génération Z souhaite s’accomplir dans un travail qui allie plaisir, formation et autonomie, recherche un environnement qui favorise son bien être en utilisant tous les ressorts des réseaux sociaux et des outils de télétravail ou de dématérialisation, et veille à protéger l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
- La crainte de l’instantanéité : les collaborateurs de la génération Z baignent dans l’hyper connexion et l’instantanéité qui génèrent une obligation d’immédiateté : ils envoient un message dans l’instant et attendent un retour immédiat. Le rapport au temps change car ils zappent régulièrement, éliminent un problème, un ennui sans discussion et sans appel. La génération Z a un rapport décomplexé à l’erreur : elle ne veut pas qu’on leur fasse grief d’agir selon ses propres normes, ne voit pas l’intérêt de prendre son temps pour savoir car elle sait où trouver l’information si besoin est et, ce, en dehors des circuits traditionnels.
Quelques clefs pour composer avec la génération Z
Pour les managers ayant dans leurs équipes des collaborateurs de la génération Z, la question est de savoir comment prendre en compte ces spécificités pour éviter d’être déconnectés de ce public et quelles réponses essentielles apporter pour installer et développer une relation bienveillante et féconde ? Quelques pistes (tenant davantage à des postures) ont d’ores et déjà rencontré des succès vis à vis des « digital natifs » :
- Jouer la carte de la transparence : la génération Z a besoin de trouver du sens dans son travail et pour ce faire elle pose beaucoup de questions. Le manager sollicité doit répondre vite et vrai : les Z ne sont ni patients ni tendres envers ceux qui maquillent la réalité : la transparence et l’honnêteté sont plus importants à leurs yeux que le savoir ou la « maturation » de la réflexion.
- Privilégier le rôle de manager-coach : la génération Z montre peu de respect pour le diplômé, le sachant ou l’autorité d’une façon générale. Elle recherche des managers bienveillants qui lui permettent de s’accomplir, qui encouragent la prise de risque et qui accordent le droit à l’erreur. Les Z ont besoin de repères pour s’organiser et prioriser les tâches mais ils aspirent à un fort besoin d’autonomie.
- Valoriser leur vision du monde : la génération Z refuse la fin de non-recevoir des personnes qui lui disent ou lui font comprendre qu’elle n’a pas l’expérience pour comprendre. Les Z considèrent que, même jeunes, ils savent différemment mais autant que les plus âgés et ils veulent valoriser et partager leurs connaissances. Les associer à la vision stratégique de l’entreprise est un excellent moyen de donner du sens et de créer une dynamique de groupe.
- Installer des feed-back réguliers : pour la génération Z c’est un élément fondamental d’évolution, elle a constamment besoin de savoir si elle va dans la bonne direction. Aussi, le manager ne doit surtout pas entraver la prise de parole des Z. Il doit pratiquer des entretiens réguliers qui permettent de faire le point sur l’avancée des missions, multiplier les critiques constructives et les accompagner en acceptant, en retour, leurs propres critiques constructives.
- Proposer un cadre de travail agréable et flexible : la génération Z a besoin de trouver du plaisir dans les tâches qui lui sont confiées ; pour elle l’entreprise reste un vecteur de lien social avec un espace convivial et un esprit d’équipe. Ceci implique pour le manager de ne pas brider la créativité des Z en les enfermant dans des process rigides. Il doit encourager les initiatives personnelles et trouver le bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Conclusion
La génération Z n’est pas un consommateur passif. Elle demande à être intégrée au processus de conception, de production et de distribution. C’est une génération créative qui a besoin d’apprendre en faisant.
Même s’ils sont salariés les Z sont des auto-entrepreneurs, construisent autour d’eux un monde de freelance : on assiste à une érosion des CDI, à l’explosion de la pluriactivité, à l’obsolescence accélérée des compétences (50% des jobs n’existeront plus dans 10 ans). C’est la fin de la spécialisation et l’avènement de la diversité des compétences dans le cadre d’une mission qui passionne les Z avec du sens et de l’engagement.
Aussi dans le monde de l’entreprise, la posture du manager qui encadre des collaborateurs de cette génération est de devenir un coach où l’auto-construction reste au centre des réflexions.
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