Le pouvoir : espace de conquête

Le pouvoir : espace de conquête

Jacques Gillot-Péan 2023

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

« Entrer en management » est vécu par certains responsables comme « accéder au pouvoir », comme si le pouvoir constituait un attribut de la fonction que le titulaire obtenait de facto à sa nomination et dont la décision serait son oriflamme. Puis, confronté à l’exercice même du pouvoir au niveau du quotidien, le manager éprouve ses premières déconvenues et finit, parfois, par crier au subterfuge : l’une des insatisfactions les plus profondes qui guette le responsable d’unité est le sentiment diffus qu’il n’exerce aucune influence réelle sur les évènements, que l’essentiel dépend finalement de décisions prises ailleurs par une hiérarchie lointaine et jalouse de ses prérogatives. Cet écart entre les aspirations du manager de proximité et sa perception de la réalité engendre des déceptions et des tensions.

 

N’existe-t-il pas une méprise sur les attributs de l’autorité, une confusion entre l’influence, la décision et le pouvoir qui limiterait le manager opérationnel dans l’exercice de sa fonction ?

Les managers ne sont-ils pas « victimes » d’une double contrainte (la recherche de la satisfaction pour répondre aux attentes multiples des collaborateurs et celle de l’efficacité pour atteindre les objectifs fixés par la Direction) ? Comment surmonter cette opposition entre une vue mécaniste et une vue idéaliste des relations de travail ?

Face aux divergences qui sous tendent toute relation hiérarchique, quel rôle joue la négociation comme outil de la conquête du pouvoir ?

Qu’est-ce qui confère au manager la crédibilité nécessaire pour faire vivre à ses collaborateurs une aventure professionnelle partagée qui va bien au-delà du pouvoir et de la décision ?

 

 

 

La confusion conceptuelle (influence, pouvoir et décision)

 

 

Il existe une confusion conceptuelle concernant les notions d’influence, de pouvoir et de décision. Cette méprise contribue aux désillusions du manager opérationnel qui, mettant volontiers dans le même panier ces trois éléments, se sent globalement atteint dans son autorité lorsque l’une d’entre elles est accaparée par sa propre hiérarchie comme si l’influence, le pouvoir et la décision formaient un bloc monolithique.

Il convient de distinguer leur terrain d’expression respectif afin de permettre au responsable d’unité d’agir sur différents leviers pour exercer pleinement sa fonction.

 

1/ L’influence : c’est l’ascendant qu’une personne prend sur une autre personne ou sur un groupe du fait de sa capacité à faire face à des situations complexes ou inédites. L’influence qu’une personne exerce repose sur l’utilisation du ou des pouvoirs dont elle dispose et la réalisation d’un ensemble d’actions pour conduire un projet.

 

2/ La décision : c’est une action menée par une personne qui consiste à analyser une situation comportant plusieurs options et à arbitrer parmi ces différentes options. La prévision, la planification, l’organisation et le contrôle nécessitent des choix, donc des décisions, dont la qualité et la pertinence détermineront l’influence du responsable hiérarchique dans le pilotage de son unité de travail.

 

3/ Le pouvoir : c’est l’ensemble des ressources dont dispose une personne qui détermine le type de relation qu’elle entretient avec une autre personne ou un groupe et qui lui donne la possibilité d’assurer son activité et d’atteindre son objectif. On repère quatre types de pouvoirs distincts :

 

 

 

La double illusion

 

 

Longtemps exclue de l’étude du management puis présentée comme un attribut spécifique de la position hiérarchique, la notion de pouvoir prend tout son sens aujourd’hui et ce de façon très opératoire. Pour assurer une coopération optimum entre les différents acteurs (le manager, sa hiérarchie, ses collaborateurs, ses partenaires fonctionnels) et dépasser l’antagonisme entre la recherche de l’efficacité d’une action et celle de la satisfaction des acteurs impliqués, il convient de surmonter une double illusion :

 

1/ l’illusion des relations humaines : la recherche de la satisfaction du collaborateur, considéré essentiellement comme un être relationnel, était le thème central de l’École des Relations Humaines qui posait la loi suivante : l’amélioration du climat entraîne automatiquement un accroissement de l’efficacité. Or on constate qu’il ne suffit pas de penser relations humaines pour obtenir la productivité en prime. Pire encore, cette posture managériale qui consiste à refuser d’exercer des pressions sur les collaborateurs pour ne pas détériorer le climat peut faire naître un cercle vicieux dans le couple efficacité/satisfaction : absence de pression de la hiérarchie, déresponsabilisation des subordonnés, baisse de la productivité puis pression de la hiérarchie pour « corriger le tir » a posteriori, réactions négatives des subordonnés, blocage des partenaires, chute de l’efficacité et de la satisfaction.

 

2/ L’illusion du statut primant sur la fonction : si certains responsables développent une vision idéaliste où les relations interpersonnelles occultent la notion de relation hiérarchique, d’autres, au contraire, ont une vue mécaniste où le statut prime sur la fonction, où le seul modèle de référence demeure le règlement et l’organigramme. Ces deux approches se heurtent en permanence à la réalité du monde du travail. Se retrancher derrière un formalisme technocratique (le chef a forcément raison) ou verser dans un angélisme (l’univers de l’entreprise n’est pavé que de bonnes intentions), c’est faire preuve de cécité en matière de management. L’entreprise n’est pas un terrain où « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » mais bien celui où les luttes d’influence, les rapports de force, les conquêtes de pouvoir s’exercent en permanence.

 

La négociation apparaît, à ce titre, à la fois comme terrain favori d’expression des pouvoirs et comme l’outil fondamental pour nouer un véritable contrat de management.

 

 

 

La négociation outil de la conquête du pouvoir

 

 

Face aux divergences qui sous-tendent toute relation hiérarchique, nous adoptons de façon consciente ou non des attitudes diverses à l’égard de l’interlocuteur ou du groupe d’interlocuteurs ; ces attitudes s’organisent toujours autour de deux tendances fondamentales et indépendantes :

 

1/ L’affirmation de soi : c’est toute l’énergie qu’une personne déploie pour faire respecter son territoire, défendre ses positions et tout faire pour atteindre ses propres objectifs.

2/ La coopération : c’est la préoccupation qu’une personne manifeste pour les intérêts de l’autre et donc les efforts pour comprendre et satisfaire le ou les partenaires.

 

L’intensité avec laquelle le manager utilise ces deux tendances détermine son attitude face aux conflits d’intérêt et positionne sa zone d’influence à l’égard de ses interlocuteurs qu’ils soient ses subordonnés ou ses responsables.

 

La relation supérieur-subordonné n’exclut pas, bien au contraire, un rapport de négociation. C’est parce qu’ils sont dépendants l’un de l’autre pour mener à bien une opération que la négociation devient nécessaire : la négociation est une façon implicite de reconnaître que l’autre a du pouvoir. C’est à ce prix que des décisions efficaces peuvent être prises, que des contrats peuvent être noués entre manager et managé et que la coopération peut exister dans l’unité de travail.

 

 

 

Conclusion

 

 

Le pouvoir et la décision ne constituent donc pas des fins en soi pour le manager opérationnel mais des forces distinctes et complémentaires. Elles s’étayent mutuellement, agissent en synergie pour permettre au responsable d’exercer une influence réelle sur son environnement. Le responsable d’unité n’est pas reconnu par ses collaborateurs parce que sa position hiérarchique lui octroie un pouvoir statutaire et lui donne la possibilité d’arbitrer. Il est respecté par l’utilisation circonstanciée, intelligente des moyens mis à sa disposition.

L’influence, forme élaborée de l’autorité, apparaît bien comme la résultante de ces deux composantes et confère au manager la crédibilité nécessaire pour faire vivre à ses collaborateurs une aventure professionnelle partagée : « avoir du pouvoir c’est ne pas avoir à l’utiliser »

 

 

 

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