Jacques Gillot-Péan 2022
Introduction
L’explosion du digital dans la plupart des activités et la demande croissante de télétravail dans l’organisation des entreprises remettent au goût du jour la question de la gestion prévisionnelle des emplois (GPE). Il ne s’agit pas ici de revenir sur le concept de la GPE (souvent confus et variable selon les entreprises) ni sur sa déclinaison opérationnelle qui reste en quelque sorte « l’Arlésienne » des Directions des Ressources Humaines : omniprésente dans les mots et souvent insaisissable dans les faits.
La GPE ne peut être une réponse aux évolutions des emplois qu’à la condition d’être intégrée à une approche globale d’entreprise totalement articulée à la stratégie de celle-ci. Il s’agit d’une architecture volontariste fondée sur l’analyse de l’évolution des emplois, elle-même reposant sur un plan à moyen terme, c’est à dire sur des stratégies et des objectifs chiffrés par département (ou service) et par filières de métier. Dans sa planification, une Direction Générale doit prendre en compte la variable « Emploi-Compétences » au même titre qu’elle y intègre les variables « Marchés-Produits » et « Rentabilité-Financement ».
Ce préalable est indispensable afin de dépasser des mécanismes de défense ou de méfiance de l’encadrement et des salariés. La question de l’emploi reste toujours un sujet délicat à traiter, générateur de déstabilisation, de réactions craintives, de désirs d’immobilisme, parfois de conflits.
Une démarche générale
L’écueil méthodologique de la mise en place d’une GPE, consiste à appréhender simultanément les variables emploi, ressources humaines et compétences acquises. Nous pensons qu’il faut aborder la GPE, dans un premier temps, par une démarche uniquement centrée sur l’emploi.
Le responsable de la GPE doit intervenir auprès de chaque responsable de département (ou de service) afin d’identifier les conséquences que peuvent avoir les stratégies de la Direction sur les emplois du département en général et par filière de métier en particulier. Il doit dégager les effets quantitatifs comme qualitatifs attendus des stratégies sur les emplois et ce par la mise en place de groupes de travail au sein de chaque département concerné.
Le responsable GPE réalise une projection du potentiel Emploi Requis en nombre et en qualification souhaitable pour l’année et, une fois ce diagnostic fait, il analyse le potentiel Emploi Existant. Par comparaison, il identifie (s’il en existe et c’est très probable) les écarts quantitatifs et en qualification par filière de métiers. Le responsable GPE obtient ainsi une information sur cinq familles d’emplois :
- Les emplois dont le nombre va croitre
- Les emplois dont le nombre va diminuer
- Les emplois dont le contenu va s’enrichir (jusqu’à l’apparition de nouveaux emplois)
- Les emplois dont le contenu va s’amenuiser (jusqu’à la disparition)
- Les emplois dont le nombre et le contenu ne varient pas
L’analyse est validée par la Direction Générale et donne lieu, par un processus itératif, à la définition de priorités de l’entreprise déclinées par département à la fois sur le court terme (objectifs annuels) et sur le moyen terme (trois ans).
Recommandations pour une GPE efficace sur le versant quantitatif
- La gestion des sur effectifs : sans entrer dans le détail des techniques bien connues de gestion des sur effectifs, nous ne pouvons qu’encourager les actions de formation, de reconversion et d’adaptation. Ces actions évitent un coût social et humain lourd pour la collectivité et développent la mobilité interne d’un établissement, sous réserve d’avoir été conçues, planifiées et réalisées avec pertinence.
- La gestion des sous effectifs : il est apparemment aisé de résoudre la question des sous effectifs par des recrutements soit externes soit internes et par la mise en œuvre d’actions d’adaptation et de reconversion. En effet les collaborateurs dont l’emploi disparaît doivent toujours être les premiers pressentis pour intégrer un nouveau poste et vivre une mobilité interne, fonctionnelle ou géographique si nécessaire. Néanmoins selon l’importance des écarts de qualification, l’entreprise ne peut pas toujours avoir recours à ce moyen privilégié. Elle doit faire appel à l’extérieur pour se doter de compétences nouvelles. Se pose alors la politique de recrutement à mettre en œuvre.
Recommandations pour une GPE efficace sur le versant qualitatif
- Les compétences : reconversion et adaptation: la reconversion (changement d’emploi) et l’adaptation (élévation du niveau de compétences requises dans un même emploi) ne sont pas aisées. Le problème prend toute son acuité avec des catégories de personnel peu qualifié ayant réalisé des tâches répétitives pendant une longue période. Les personnels en reconversion ou adaptation doivent être mus par un projet professionnel mobilisateur, réaliste et clairement identifié. Les conditions de réussite d’une formation de reconversion ou d’adaptation portent sur un triple aspect :
- Un contenu culturel et cognitif (acquisition de nouveaux savoirs et réactivation intellectuelle)
- Un contenu technique (maitrise de savoir-faire)
- Un contenu motivationnel (soutien relationnel et projet professionnel)
Si les deux premiers contenus sont en général définis, le troisième, c’est à dire le contenu motivationnel, est trop souvent délaissé. On ne se reconvertit pas ou on ne s’adapte pas dans l’absolu.
- La politique de gestion des carrières : le deuxième aspect du versant qualitatif est celui de la gestion des carrières. Traditionnellement, la gestion des carrières était vécue comme une promotion verticale quasiment automatique, correspondant à une période de croissance forte ou assez forte. Aujourd’hui cette approche n’est plus concevable. La dynamique de la verticalité, en matière de gestion des carrières, n’est plus réaliste dans un contexte de croissance molle. Elle conduit à une impasse, au recrutement minimum de jeunes et au vieillissement de la population de l’entreprise qui se prive ainsi de l’irrigation nécessaire de « sang neuf ».
La gestion prévisionnelle des emplois est une réponse au problème de la gestion des carrières mais suppose une conception horizontale ou circulaire et non plus seulement verticale de la progression professionnelle : il est nécessaire de créer des filières horizontales à choix multiple et définir des chemins possibles d’évolution ainsi que les conditions de passage d’une fonction à une autre. Afin d’être réellement efficace la cellule « Gestion des Carrières » doit fonctionner sur le mode d’une organisation commerciale dans laquelle chaque collaborateur de la cellule gère un portefeuille de membres du personnel pour suivre leur parcours et organiser les conditions d’une mobilité fonctionnelle et/ou géographique.
Conclusion
Mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois dans une entreprise reste une opération ambitieuse et exigeante. Afin de ne pas sombrer dans l’effet « gadget » ou bien dans des actions fragmentaires, la GPE doit être connectée à la politique, au plan et à la stratégie de l’entreprise.
La GPE est une approche qui touche toutes les fonctions, départements ou services. C’est une approche globale dont la mise en œuvre peut déranger. C’est pour cette raison qu’elle doit être validée et soutenue par la Direction Générale, sans quoi la GPE peut susciter des rivalités, des luttes de chapelles ou de baronnies que l’on peut imaginer.
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