Jacques Gillot-Péan 2023
Introduction
Un manager en bonne santé, sain de corps et d’esprit, sait analyser une situation plus ou moins complexe, arbitrer entre les différentes options possibles, organiser l’action pour ancrer la décision dans le réel et suivre puis maintenir le cap quel que soit le temps. Ajouter à cette solide articulation un supplément de chair et d’âme par des postures bienveillantes et collaboratives permet de se retrouver dans le meilleur des mondes des décideurs.
Hélas, deux maladies courantes et, souvent, mal soignées viennent fragiliser le corps managérial : la palinodie et la procrastination.
La palinodie consiste à changer radicalement d’attitudes ou d’opinions, à opérer une volte-face qui désavoue et contredit ce qui a été décidé et mis en œuvre quelque temps auparavant.
La procrastination consiste à reporter au lendemain ce qu’il est possible et nécessaire de faire le jour même ; loin de la paresse ou du dilettantisme, la procrastination « pathologique » renvoie, parfois, à une mauvaise estime de soi, une peur de l’échec ou à une difficulté de concentration.
Quelles sont les origines et les manifestations essentielles de ces deux dysfonctionnements managériaux ? Le dilemme cornélien reste l’apanage du manager en ballotage permanent : décider c’est faire un choix et ce n’est pas forcément chose aisée mais, parfois, il n’y a rien de pire que de ne pas décider en fluctuant en permanence ou en reportant la décision à plus tard.
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Palinodie, origines et manifestations
- L’impulsivité : le manager agit ou réagit sous la pression d’une force irréfléchie et irrésistible. Des opinions contraires le poussent à changer de cap pour, éventuellement, reprendre une autre route plus tard. Le navire « tangue » au gré des vents paradoxaux. Nous sommes ici, parfois, dans le syndrome du « le dernier qui parle a raison ». Ce faisant, ce style de management alternatif (au gré de la girouette des influences) oscille autour d’un résultat moyen voire médiocre (sorte de « stop and go » entre affirmation et compromission).
- L’absence de système de priorité : les tâches les plus simples ou les plus « rentables » à court terme prennent le pas sur les tâches à plus forte valeur ajoutée au regard de ses objectifs à moyen et long terme. « Quand l’immédiateté dévore, l’esprit dérive » écrivait Edgar Morin. C’est, par exemple, le manager commercial qui privilégie « les coups du moment » au détriment d’un travail de fond sur une gestion proactive de son portefeuille client ou sur une réflexion sur les actions de conquête.
- Le primat de l’individuel sur le collectif : si l’organisation dans laquelle évolue le manager a l’habitude d’être ponctuelle et applique, éventuellement, des sanctions lorsque les délais ne sont pas respectés, cela laisse peu de place aux revirements, aux retournements de position ou aux rétractations ; la loi de l’engagement collectif prime. A l’inverse, dans les entreprises où les managers confondent autonomie et laisser faire et où la règle des délais reste à « géométrie variable », la palinodie peut s’infiltrer ; le temps « élastique » autorise le manager indécis à changer facilement de position et ce à plusieurs reprises.
- La précrastination : c’est le contraire de la procrastination. Dans cette configuration le manager a tendance à faire tout tout de suite même ce qui n’est pas forcément important ou du moins ce qui pourrait attendre. C’est encore le syndrome de la « lifofilie » en gestion du temps « last in first out ». En agissant très vite voire trop vite le manager n’intègre pas toujours toutes les informations disponibles et est condamné, parfois, à faire marche arrière faute de prise en compte de toutes les composantes de la situation. Le bon sens recommande, parfois, de « tourner sept fois sa langue dans sa bouche » avant de prendre la parole.
Procrastination, origines et manifestations
- L’évitement : c’est une stratégie consciente ou inconsciente chez le manager qui s’apparente au refoulement ou au déni : face à une situation qui génère une peur, le manager va tout faire pour éviter l’inconfort, la douleur ou la crainte de l’échec. Le manager, par exemple, qui craint de devoir se confronter à un collaborateur sur un sujet délicat, reporte à demain voire sine die un entretien sur cette situation.
- Le principe de plaisir : le manager met de côté ou remet à plus tard des tâches qui nécessitent de la réflexion, de l’investissement en temps et en énergie pour laisser place aux tâches connues, faciles à réaliser et procurant un niveau de satisfaction immédiat. Il n’a pas la volonté nécessaire ni la force pour passer à l’action de la même façon que, communément, lorsque quelque chose nous ennuie, nous trouvons toujours toutes les bonnes raisons pour remettre au lendemain.
- Les inadéquations entre compétences et responsabilités : le manager ne se sent pas suffisamment compétent pour « imposer » son empreinte sur une opération et, ce faisant, n’assume pas sa responsabilité. Il attend des jours meilleurs ou qu’un autre prenne cette responsabilité. C’est aussi le cas, à l’inverse, du manager qui considère que telle opération n’est pas « digne » de son niveau, qu’elle doit être prise en charge par un « subalterne ». Cette double inadéquation réelle ou ressentie comme telle peut générer un retard ou un report dans le traitement d’une action.
- L’absence d’incarnation de son rôle : le manager n’a pas une vision claire du projet qu’il peut ou doit porter, il n’a pas la puissance du leader pour prendre la direction des équipes, il n’a pas l’autorité nécessaire pour affronter les oppositions : ce faisant il devient progressivement le spectateur des évènements auxquels il est confronté plutôt que l’acteur principal ; il glisse alors dans le monde des hésitations, des atermoiements et, donc, de la procrastination.
Quelques remèdes
Pour lutter contre les écueils managériaux classiques de la palinodie ou de la procrastination, il convient de revenir sur les fondamentaux de son métier et de les mettre rigoureusement en acte afin de l’exercer sans trop de difficultés et avec une véritable valeur ajoutée :
- Connaître son métier : il s’agit de comprendre et d’intégrer la raison d’être de son métier, ses activités essentielles et les compétences requises pour l’exercer et, ensuite, de ne pas y déroger. Un manager qui ne fait pas de management est comme un boulanger qui ne fait pas de pain. Se centrer en permanence sur le cœur de cible de son métier évite de tergiverser et de procrastiner.
- Avoir un système de priorité : il s’agit de réfléchir avant d’agir, de construire sa feuille de route au regard de son métier, d’optimiser son agenda. Il n’est pas question de tout faire tout de suite mais de tout de suite faire quelque chose : l’absence de priorité est la porte ouverte au vagabondage managérial.
- Fractionner les tâches à accomplir : il s’agit d’éviter qu’une tâche « rebutante » apparaisse comme un obstacle insurmontable. Cette démarche consiste à diviser l’activité « rebutante » en plusieurs sous activités de sorte à lui donner un commencement et une fin bien déterminée ; l’ensemble devient alors plus accessible.
- Structurer son temps de travail : il s’agit de se fixer, pour chaque opération importante, un objectif en termes de contenus et de durée (un résultat attendu à un moment donné) et d’inscrire cet objectif dans « le marbre » de son planning. Un manager doit toujours distinguer le temps « solide » (celui de sa planification indispensable), le temps « liquide » (celui où les activités « tampon » peuvent être faites car elles demandent moins de concentration) et le temps « gazeux » (celui qui nous échappe faute de planification mais qui peut phagocyter nos journées).
- Limiter les occasions de « distraction » : il s’agit de mettre en acte des principes de vie professionnelle pour rester rigoureux sans rigidité. Cela consiste à refuser la « politique de la porte ouverte » pour, soi-disant, rester toujours disponible pour ses collaborateurs : un manager est plus disponible quand il reçoit ses collaborateurs lors d’une plage de temps dédiée (dans la journée ou la semaine) ; il s’agit de savoir dire « non » face aux sollicitations aussi agréables soient-elles dès lors qu’elles sortent du champ de ses priorités ; il s’agit de mettre en mode silencieux son smartphone lors d’un entretien ou d’une réunion ; autrement dit, il s’agit d’être centrer et concentrer sur le « ici et le maintenant ».
- Développer ses capacités personnelles : il s’agit de travailler régulièrement des pratiques et des postures qui peuvent permettre au manager de surmonter des situations difficiles ou complexes : développer son intelligence émotionnelle pour mieux se connaître, mettre en place des réflexes contre le doute ou l’anxiété, travailler des astuces d’autosurveillance, s’engager à haute voix devant les autres pour renforcer sa détermination. Autant de petits et grands principes de vie qui évitent la palinodie et la procrastination.
Conclusion
Nous voyons bien que la palinodie tout comme la procrastination ne proviennent pas nécessairement de la paresse, du manque d’efficacité ou de l’indiscipline. Ce ne sont pas, non plus, des « maladies » honteuses ou graves. Pour autant, ces dysfonctionnements managériaux provoquent chez les interlocuteurs (collaborateurs, hiérarchies ou autres partenaires) de l’incompréhension, de l’inquiétude, du conflit ou du rejet et, en toute circonstance, écorne durablement la fiabilité du responsable.
Il faut éradiquer ces écueils, ils ne sont pas les alliés du manager car ils l’empêchent de passer à l’action, de réaliser des choses dont il pourrait être fier. La procrastination procure un certain soulagement pendant un certain temps mais la pensée du travail retardé reste au fond de l’esprit et ne permet pas de se reposer. La palinodie procure l’illusion de « conserver la main » sur les arbitrages mais elle laisse une trace amère de son inconséquence.
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