Jacques Gillot-Péan 2023
Introduction
Contrairement aux ventes simples, standardisées et/ou multiples, la vente destinée aux Grands Comptes d’entreprises répond à des règles et des approches spécifiques. On ne peut pas considérer les Grands Comptes d’entreprise comme une entité commerciale cohérente et homogène. Il convient de traiter chaque Grand Compte en tant que tel avec, pour chacun, la nécessité de clarifier une stratégie dédiée, de développer non pas une relation client mais un système client avec des relations fortes pour tous les interlocuteurs intervenant dans le système, de proposer des prestations personnalisées et de garantir tout aussi bien la satisfaction sur la durée pour le client que la rentabilité de l’opération pour le prestataire.
Alors quelles sont les caractéristiques essentielles qui régissent la gestion commerciale des Grands Comptes ? Quelles sont les responsabilités particulières d’un commercial affecté aux Grands Comptes ? Comment repérer et traiter les limites et les risques de cette approche ? Existe-t-il de bonnes pratiques pour conserver et développer un Grand Compte ?
Les caractéristiques de la gestion commerciale des Grands Comptes
La gestion des Grands Comptes requiert des compétences commerciales mais aussi managériales, relationnelles et stratégiques particulières. Entamer une telle démarche c’est accepter d’entrer dans le monde des projets complexes et multidimensionnels, des négociations de « haut vol », du travail sur le long terme et de l’innovation permanente pour créer de la valeur ajoutée.
Avant d’explorer les risques mais aussi les bonnes pratiques, identifions tout d’abord les caractéristiques essentielles de la gestion commerciale des Grands Comptes :
- Un marché du conseil : la prestation (produit ou service) vis à vis d’un Grand Compte demeure essentielle mais elle est la résultante d’un processus complet qui commence par la compréhension et l’analyse des besoins. C’est vrai dans toute démarche commerciale mais pour les Grands Comptes cette phase est encore plus déterminante compte tenu des enjeux techniques et économiques. Connaître en profondeur les données du marché, de l’état de la concurrence, des besoins et des attentes du client sont de la première importance.
- Un marché de la complexité : la prestation vis à vis d’un Grand Compte peut avoir une incidence sur l’ensemble des activités de la société prestataire. Les produits et services sont souvent sophistiqués et peuvent impliquer des changements dans l’organisation de l’entreprise ou l’acquisition de ressources rares surtout si ces produits et services ne sont pas ou peu maîtrisés dans l’entreprise.
- Un marché de gestion de projet : la prestation vis à vis d’un Grand Compte s’inscrit dans une démarche de gestion de projet où il s’agit de délimiter le travail à réaliser et le partager en toute transparence, d ‘établir un budget rigoureux car les investissements peuvent être lourds et de fixer un calendrier raisonné qui tient compte du temps long du projet. La nomination d’un chef de projet reconnu qui détermine les indicateurs d’avancement et de suivi s’avère stratégique dans cette démarche commerciale.
- Un marché de décisionnaires : la prestation vis à vis d’un Grand Compte n’est ni standardisée ni répétitive. Elle est le fruit d’une chaine de décisions où les acteurs peuvent être nombreux, de secteurs et de niveaux différents (le commanditaire politique, l’expert utilisateur, le décideur économique, les promoteurs internes et externes fournissant des informations, …). Il s’agit d’identifier les critères qui fondent la décision, qui permettent de réduire les points de friction ou les lacunes, de confronter les décisionnaires dans leur choix et dans la continuité de la relation.
- Un marché du temps long : la prestation vis à vis d’un Grand Compte n’arrive pas du jour au lendemain ni ne pas « tombe d’un seul coup ». Il faut pouvoir mobiliser en interne des ressources humaines et techniques, construire des partenariats externes pour répondre à certaines exigences non couvertes à l’interne, créer une relation durable pour assurer le service après-vente tout aussi important que la vente elle-même, anticiper les demandes futures et, ainsi, envisager une fidélisation tant la concurrence et le risque financier sont présents.
Les risques et les limites de la gestion commerciale des Grands Comptes
La gestion commerciale d’un Grand Compte peut s’avérer très rentable pour l’entreprise compte tenu de la marge commerciale des opérations traitées et de l’indice de pénétration autrement dit le rapport entre le chiffre d’affaires réalisé et le potentiel d’achat du client.
Toutefois, il se peut aussi que les fruits ne répondent pas à la promesse des fleurs si le responsable commercial n’identifie pas très précisément les risques ou les limites d’une approche commerciale lourde en investissements et fragile dans le temps. Il faut surveiller « comme le lait sur le feu » au moins quatre points de vigilance :
- Le poids des investissements : L’enjeu financier pour le client est tel que la décision d’achat se voit souvent répartie au sein d’une commission ad hoc. Il en est de même pour le prestataire : le produit ou service proposé est unique et avant sa « livraison » comme après il fait l’objet d’un certain nombre d’études, d’appels à experts, d’une logistique complète qui rendent la prestation chère. Ne pas prendre en compte cette dimension où le ROI n’est ni garanti ni immédiat peut fragiliser la santé économique de l’entreprise.
- La lenteur du processus de vente : sauf en cas de partenariat établi solidement et renouvelé grâce à des relations « incontournables » entre les acteurs stratégiques, le processus de la démarche commerciale peut s’étaler sur plusieurs mois voire plusieurs années en raison de la complexité des affaires, du nombre d’interlocuteurs impliqués et des contre-propositions régulières venant de la concurrence. Ne pas s’inscrire dans le temps long pour gérer commercialement les Grands Comptes c’est, potentiellement, prendre le risque « d’exploser en plein vol ».
- Le piège de la dépendance : les Grands Comptes peuvent représenter une part importante du chiffre d’affaires de l’entreprise mais aussi exercer une forte pression sur le prix et les conditions contractuelles. Même si une démarche commerciale orientée Grands Comptes est valorisante pour l’entreprise sur beaucoup de plans, elle ne doit pas se livrer pieds et poings liés de façon exclusive au risque de mettre en péril la pérennité économique de l’entreprise.
- La volatilité des clients : les Grands Comptes sont des clients stratégiques pour tous les prestataires pouvant « jouer le match » et ce faisant ils sont extrêmement sollicités. La difficulté pour fidéliser les Grands Comptes reste une préoccupation majeure dans toute démarche commerciale de ce type. Si la dimension relationnelle entre les acteurs s’avère essentielle elle n’est pas première pour gagner la fidélisation.
Quelques bonnes pratiques à la disposition des commerciaux
Réussir une bonne démarche de commercialisation avec des Grands Comptes demande de la rigueur, de la constance et de la vigilance. Ces principes s’articulent généralement autour de de cinq axes majeurs :
- Se montrer lucide dans sa capacité à entrer dans cette démarche : attaquer le marché des Grands Comptes suppose préalablement avoir répondu clairement à quelques questions clefs : disposons-nous des ressources techniques et financières pour proposer une prestation de haute qualité ? Avons-nous les acteurs rompus aux négociations longues et complexes ? Avons-nous identifié la valeur ajoutée particulière ? Maîtrisons-nous le processus de ce type de business ? Etc…
- Aborder chaque client comme une entité commerciale à part entière : il convient pour chaque client Grand Compte de définir une mini stratégie marketing, d’établir un sociogramme dédié à chaque système client, d’identifier clairement le circuit de décision spécifique, de prendre en considération les influenceurs de toute nature, …
- Valoriser financièrement ses prestations : les Grands Comptes sont un marché à forte marge commerciale. Pour autant, il faut savoir défendre le prix de ses prestations pour « tenir » dans la durée, se fixer une limite en deçà de laquelle on ne peut plus rentrer dans ses frais et, en toute circonstance, apporter une autre valeur ajoutée que le prix pour démontrer que les produits/services impactent réellement le business du client.
- Partager ses savoir-faire avec ceux du client : nous ne sommes pas dans une relation classique de client/fournisseur mais dans une démarche de partenariat. Il s’agit de sa capacité à unir ses forces pour créer plus de valeur ajoutée que les concurrents respectifs, d’améliorer en permanence les interactions, de partager le risque avec son partenaire comme de partager les succès, de favoriser la co-construction des projets et des réalisations.
- Assurer une qualité de service irréprochable à tous les stades : hormis le produit et la force des relations, la réussite de la commercialisation des Grands Comptes repose également sur l’ensemble de l’environnement client : simplification des flux physiques, financiers ou informationnels, fiabilité dans le respect des engagements notamment en matière de calendrier, transparence des mesures chiffrées, partagées et comprises par tous, …
- Mettre en place une veille stratégique : il s’agit d’anticiper les tendances business du Grand Compte, comme celles du marché et de son secteur d’activité. Il s’agit également de détecter les obstacles avant qu’ils ne surviennent. Il s’agit enfin de travailler sur les besoins latents du client pour innover, rechercher en permanence des solutions nouvelles et proposer ainsi des réponses de façon pro-active.
Conclusion
Vendre à un client Grand Compte s’avère comme une réelle opportunité d’accélérateur de business mais aussi comme un objectif hors de portée. Certes un Grand Compte apparaît comme une référence prestigieuse pour une entreprise mais il ne faut pas oublier que sur ce marché tout est plus long, plus lourd, plus cher, plus compliqué.
De nombreux obstacles se dressent pour aborder ce marché et réussir dans la durée. Tout chef d’entreprise doit se demander où il veut aller et ce qu’il doit atteindre. C’est en se fixant des objectifs cohérents au regard de son histoire, de la culture « maison », de la cartographie de ses ressources, de sa solidité financière qu’il réussira à impliquer un Responsable Grand Compte. Cette fonction reste extrêmement exigeante dans la mesure où ces comptes très convoités par la concurrence demeurent fragiles.
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