Jacques Gillot-Péan – Février 2021
Introduction
Sans décision impossible de fonctionner ni d’avancer. Pour autant la prise de décision en entreprise n’est pas un exercice facile, elle prend même parfois des allures de « prise de tête ». Tant de choses se jouent dans cette approche qu’il convient de clarifier la réflexion autour de quatre interrogations majeures :
- Quel est le champ de la décision ? On peut considérer que tout est décision (choisir entre une chemise blanche ou une chemise bleue pour aller travailler) ou que rien n’est décision mais seulement une conséquence logique (décider d’ouvrir son parapluie quand il pleut). Selon que nous nous trouvions dans un univers stable ou instable, simple ou complexe, le champ de la décision mérite d’être balisé.
- Existe-t-il un processus logique et rationnel de la décision, sorte de martingale des managers et dirigeants ? Sans parler de modélisation simpliste, quel rôle jouent l’intuition, le feeling, la pulsion ou l’inconscient dans la prise de décision?
- Qui sont les acteurs impliqués et impactés par la prise de décision ? La décision est-il un acte solidaire à une époque où l’on vante les vertus de la démocratie participative ou un acte solitaire pour reprendre la célèbre remarque de Clémenceau « pour prendre une décision il faut être un nombre impair de personnes et trois c’est déjà trop».
- Quels sont les indicateurs de succès de la prise de décision ? Le résultat obtenu, la rapidité d’exécution, l’analyse a posteriori, la prise de risque a priori ? Les « yavaitka », « t’auraispasdu », « j’telavaisbiendit » sont légion au tribunal des décideurs mais, pour autant, il faut bien identifier les caractéristiques d’une décision opportune et réussie et éviter, ainsi, le syndrome de « l’œuf » de Christophe Colomb.
Autant de pistes qu’il convient d’aborder pour se faire une idée plus précise sur la prise de décision en entreprise.
Le champ de la décision
On a souvent tendance à classer les types de décision en trois catégories :
- Les décisions stratégiques qui engagent l’entreprise sur le long terme comme par exemple la conquête d’un nouveau marché ou le choix d’opérer une fusion. Ces décisions sont prises, en général, par le Dirigeant après concertation de son Comité de Direction.
- Les décisions tactiques qui engagent un secteur de l’entreprise sur le moyen terme comme par exemple le changement du parc automobile ou le recrutement d’un nouveau collaborateur. Ces décisions sont prises, en général, par les Managers intermédiaires.
- Les décisions opérationnelles qui ont une portée limitée pour l’entreprise et un impact sur le court terme comme par exemple la modification du plan de travail ou l’achat de consommables. Ces décisions, sont prises, en général, par les responsables de proximité.
Si cette catégorisation reste juste et intéressante, elle ne suffit pas à délimiter le champ de la décision. Il faut prendre en compte également la nature de la décision : selon que nous nous trouvions dans un contexte stable (aucune évolution envisagée à l’horizon) ou instable (une situation sanitaire incontrôlable), dans des changements prévisibles (nouvelle administration aux USA suite aux élections présidentielles) ou non (« y aura-t-il de la neige à Noël » ?), dans un monde où les incertitudes et les informations chaotiques prévalent sur la solidité des faits et la convergence des analyses, le terrain de la décision devient plus ou moins mouvant.
Il y a donc lieu de déterminer à la fois le type et la nature de la décision pour en cerner correctement le champ.
Le processus de la décision
Le processus de la prise de décision s’apparente, somme toute, à une démarche de résolution de problème structurée classiquement autour de quatre phases essentielles :
- La phase de formalisation: il s’agit de la prise de conscience de la situation et de la qualification de la question à résoudre.
- La phase d’instruction: il s’agit du temps (plus ou moins long) consacré à la collecte des informations, à l’analyse des différentes hypothèses, à l’écoute des avis des experts.
- La phase de résolution: il s’agit de la mise en lumière des différentes alternatives, de l’évaluation des risques d’échecs dans le plan d’exécution, de l’identification des avantages et des contraintes.
- La phase d’exécution : il s’agit du passage à l’acte, de la désignation des acteurs concernés et des responsables, de la liste des actions à engager et des indicateurs à suivre.
Toutefois, choisir entre plusieurs options possibles après avoir pesé le pour et le contre de chacune de ces options ne répond pas seulement à la sphère du rationnel. Décider c’est une prise de risque, une prise de stress,…, une « prise de tête ». Il faut savoir se fier à son instinct, son expérience ou sa subjectivité. Le décideur n’est pas seulement une mécanique rationnelle, c’est un être vivant fait de chair, de sentiments, de pulsions et de culture.
Entre le rationnel et l’émotionnel, il n’y a pas de meilleur système qu’un autre pour la prise de décision. Ils sont complémentaires et les deux sont souvent utilisés simultanément.
Les acteurs de la décision
On ne peut échapper à la décision quand on est responsable. Celui qui fuit la décision difficile assumera tout de même sa « non prise » de décision : décider de ne rien faire c’est faire quelque chose. Autrement dit ne pas décider c’est tout de même décider, mais malgré soi. On peut aussi ajouter que le responsable qui dit « je n’y peux rien » fondamentalement ne sert à rien.
Toute la question est de savoir si la prise de décision est un acte solitaire ou un acte solidaire :
- Décider seul offre l’avantage de la rapidité, de la simplicité dans la mise en œuvre et de l’évitement des influences de toute nature voire des manipulations (hiérarchiques, affectives, financières). Toutefois, le décideur solitaire peut être victime de sa trop grande subjectivité, de son manque de recul ou d’une absence de compétence fâcheuse.
- Décider en groupe (par consensus, à la majorité ou par délégation) permet une plus forte implication des acteurs face aux enjeux et dans la mise en œuvre de la décision prise, un renforcement de la cohésion. Toutefois, c’est un processus plus long et plus ardu à conduire, générateur de débats contradictoires et donc de conflits potentiels ou de déresponsabilisation possible de certains acteurs.
En fait c’est le type et la nature de la décision qui permettront un arbitrage pertinent. Quand un Responsable dit « je décide que », il s’adresse à d’autres personnes qui en sont témoins ou partie prenante. En ce sens, qu’elle soit prise de façon solitaire ou en groupe, la décision concerne toujours une collectivité.
Les indicateurs de succès d’une décision
A quoi peut-on juger une bonne ou une mauvaise décision ? malgré la croyance généralement répandue, la qualité d’une décision ou la compétence d’un décideur ne peut être jugée au seul vu des résultats, sans quoi on remettrait en cause la reconnaissance du droit à l’erreur. Bien entendu, un manager dont les arbitrages conduisent régulièrement à des conséquences négatives peut être remis en cause sur cette capacité mais cette appréciation n’a pas de sens sur un coup.
On ne juge pas une décision a posteriori, ce serait trop facile. En matière de décision on est dans un univers parfois complexe et toujours incertain (le futur est par définition incertain) : le décideur ne dispose pas de toutes les cartes en main ; il y a une part de risque qui l’amène à choisir ou à éliminer.
En fait le bon décideur est celui qui a parfaitement déterminé la problématique à résoudre (sinon c’est un manque de capacité de compréhension), qui intègre dans sa réflexion toutes les informations disponibles (sinon c’est de l’amateurisme) et se forge une intime conviction, assume totalement le risque inhérent à tout choix et a la capacité à la défendre (sinon c’est une carence de responsabilité).
Et puis, il faut bien avouer qu’une décision n’est bonne que lorsqu’elle est prise.
Conclusion
Nous vivons une époque dans laquelle les injonctions de performance mettent une forte pression sur les managers pour prendre les bonnes décisions au bon moment. Il ne faudrait pas que cette situation amène les décideurs à devenir soit des « flambeurs » qui ne tiennent pas compte de la réalité mais veulent apparaître comme des êtres « décidés » soit des craintifs qui face aux nombreuses incertitudes du choix restent tétanisés.
Bien sûr la prise de décision reste « une prise de tête » dans la mesure où se télescopent le rationnel et l’émotionnel, les désirs et les peurs, la confiance et l’hésitation mais toute décision n’est pas « vitale ». On apprend à se relever en tombant, on grandit en se trompant et puis bien des décisions une fois prises nous paraissent évidentes (« pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt »).
Ce qui est vrai c’est que décider de décider fait de chacun d’entre nous le sujet de sa propre vie et non l’objet.
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