Jacques Gillot-Péan et Jean-Pierre Simon
Une entreprise peut mourir de sa croissance :
La Gestion de la croissance
Introduction
Une entreprise peut mourir de sa croissance.
Tous les dirigeants d’une entreprise en phase de croissance sont confrontés à ce paradoxe. Grandir n’est pas une sinécure.
Bien entendu, les problèmes varient en fonction des secteurs d’activité, du rythme de croissance et du stade de croissance ( décollage, développement, stabilisation, redéploiement, mais il n’y a pas de croissance sans problèmes : ne pas les identifier, les analyser et les traiter ( « étourdi » par l’euphorie de la croissance où l’on continue de faire comme avant mais en plus grand, en plus fort, en plus vite, c’est prendre le risque de lendemains qui déchantent, de voir la croissance, paradoxalement, fragiliser l’entreprise jusqu’à la mettre en grand danger de survie.
Deux axes stratégiques doivent conduire la réflexion du dirigeant :
• Les ressources « techniques » ( la finance et les process),
• Les ressources «humaines » ( la gouvernance et la collectivité humaine,
Les ressources « techniques »
Il ne peut y avoir de croissance sans un modèle éprouvé, testé, reproductible qui permet de changer d’échelle et sans une planification de la trésorerie et un financement adéquat qui permettent d’assumer les obligations financières quotidiennes (factures, paies, achats de fournitures,..)
Cette approche « technique » de la croissance s’articule en 4 temps essentiels :
1/ Formaliser un plan stratégique de croissance :
Il s’agit de se poser les bonnes questions pour :
- Vérifier qu’on est dans une phase de croissance durable (et non un phénomène saisonnier, isolé ou conjoncturel)
- Verbaliser le sens de cette démarche pour le dirigeant (pourquoi croître?)
- Valider le potentiel de l’équipe de direction à porter et gérer cette croissance dans le temps
- Ecrire la stratégie suite à une analyse (type « A.F.O.M. ») pour, notamment, identifier les risques et s’y préparer
2/ Prévoir les besoins de trésorerie :
Il s’agit d’analyser très concrètement les entrées et les sorties pour :
- Maîtriser la situation financière de l’entreprise
- Etablir les besoins de liquidités futures et de fonds de roulement
- Faire des choix structurants (le financement du fonds de roulement, le refinancement de la dette, la conversion des actifs inutiles en liquidités,…)
Il s’agit, également, de « procédurer » rigoureusement la gestion des comptes clients et des comptes fournisseurs pour alléger les problèmes de liquidité, mettre en place les modalités de paiement et de recouvrement et suivre tous les indicateurs « comme le lait sur le feu ».
3/ Contrôler les coûts et l’endettement :
Il s’agit de mettre en place un plan rigoureux pour :
- Rationaliser les frais généraux (loyers, équipements, ressources humaines, fournitures, …)
- Déterminer des objectifs de réductions des coûts
- Désigner un responsable du suivi et de la gestion d’un tableau de bord
- Obtenir l’adhésion de la communauté humaine (en période de croissance les dépenses peuvent être « effrénées »)
Il s’agit, également, de renforcer le partenariat avec les établissements prêteurs pour :
- Garantir la viabilité de la croissance
- Obtenir les financements nécessaires
- Rester lucide sur le risque (les institutions financières sont vigilantes vis à vis des entreprises en phase de croissance)
- Imaginer des solutions innovantes au regard des modes de financement conventionnels
4/ Obtenir un plan de refinancement :
Le plan de refinancement doit contribuer à réduire les paiements mensuels en rééchelonnant la dette et en répartissant les paiements sur une plus longue période. Pour être admissible à ce type de plan, il faut répondre « oui » aux 5 questions suivantes :
- L’équipe de direction est elle compétente et a-t-elle fait ses preuves?
- Le dirigeant peut-il démontrer sa capacité de remboursement?
- Les capitaux propres de l’entreprise sont-ils solides?
- Compte tenu du projet, le fonds de roulement est-il suffisant pour répondre aux besoins à court terme?
- Si l’entreprise est à l’étape du démarrage ou du développement, un Business Plan complet a-t-il été élaboré?
Les ressources « humaines »
Au delà de « l’industrialisation » des process et de la rigueur budgétaire incontournables, ce sont, bien entendu, les acteurs de l’entreprise qui créent les conditions d’une croissance réussie. Toute la communauté humaine est impactée et concernée : en premier lieu le dirigeant/fondateur qui devra prendre, souvent, des décisions douloureuses mais aussi l’équipe « de la première heure » qui peut ne plus se retrouver dans cette nouvelle configuration et « les nouveaux » dont l’intégration dans la culture de l’entreprise reste une clef du succès.
1/ l’évolution du dirigeant :
En dehors du plaisir et de la fierté de voir son entreprise grandir, le dirigeant/fondateur connaît une période de stress dans la phase de croissance : plus de risques, moins d’impact direct sur l’opérationnel, perte de l’activité initiale,… Le dirigeant doit évoluer pour éviter 3 risques très fréquents dans cette période :
- Le dirigeant fait « l’autruche » : il ne voit pas (ou refuse de voir) ses limites ( le créateur n’est forcement un développeur)
- Le dirigeant pêche par orgueil : il se croit multi compétent et vouloir se passer d’un vrai Directeur Commercial, ou d’un vrai Directeur de Production
- Le dirigeant n’adapte pas sa gouvernance au nouvel environnement : il manage de la même façon sans relai ni véritable délégation.
2/ la modification de la structure :
Si la structure n’évolue pas suffisamment c’est le risque de la non qualité, si elle devient trop complexe, c’est le risque de « la bureaucratie ». Quelques principes « gagnants » :
- Disposer de services dédiés aux axes stratégiques
- Mettre en œuvre un management participatif avec un Comité de Direction
- Se doter de tableaux de bord et former le comptable à la gestion de ces tableaux
- Orienter les équipes vers les clients (organisation par projet)
3/ La nouvelle donne pour les hommes de « la 1ère équipe » :
En phase de croissance, deux familles émergent chez les artisans de la 1ère heure :
- Ceux « qui restent dans le coup » mais qui sont inquiets face à un fondateur moins accessible, à une équipe plus éclatée, à des process fastidieux. Il faut les rassurer en leur donnant une place claire dans l’organisation et les associer à la réussite
- Ceux « qui s’essoufflent », qui ne s’adaptent pas à l’évolution ou qui sont incapables de prendre des responsabilités managériales. Il ne faut pas masquer les « incompétences » au regard de la phase de croissance puis réduire leur champ d’intervention, proposer une « reconversion » honorable ou s’en séparer.
4/ Le recrutement et l’intégration des « nouveaux » :
Pour les « nouveaux », l’intégration est un enjeu majeur (valeurs, principes, pratiques) pour garantir la prestation et, à leur tour, accueillir les nouveaux. Encore faut-il trouver à temps et en quantité suffisante les compétences nécessaires à la croissance. Avoir présent à l’esprit 4 difficultés pour y apporter des solutions :
- Le laps de temps entre l’identification du besoin et « l’opérationnalité » du collaborateur recruté
- La pénurie des spécialistes sur des techniques nouvelles ou pointues
- La difficulté à séduire les hauts potentiels (quel est le projet)
- Les conditions de travail et de rétributions inférieures à des grosses structures déjà en place (salaires, opportunités de carrière, localisation,..)
5/ La sauvegarde de la culture de l’entreprise :
L’entreprise est la première vitrine de son succès. Or, l’esprit du départ peut se perdre comme la culture qui a fait son succès. Pour sauvegarder ce levier de la réussite de la croissance, 2 actions essentielles :
- Marteler et décliner sans cesse (sous différentes formes) les valeurs fondatrices de l’entreprise
- Organiser des temps « conviviaux » pour cimenter les équipes, les passerelles entre les « anciens » et les « nouveaux »
Illustration :
La gestion de la croissance chez BCM Energy
Fournisseur intégré d’énergie d’origine renouvelable.
Ressources «Techniques»
1. Formuler un plan de croissance stratégique
Passer de «Start-Up Company» à «Scale-Up Company»
La spontanéité, le foisonnement, l’enthousiasme créatif et désorganisé, l’absence de structure (voire de hiérarchie), regroupés autour d’une intention et d’une vision, constituent le mode d’éclosion et de fonctionnement des start-up.
Cependant cette absence de cadre, booster initial, devient souvent le premier frein à leur développement et à la pérennisation de leur projet.
En parallèle, le besoin croissant et parfois sous-estimé de trésorerie pour accompagner cette croissance peut rapidement mener à l’asphyxie des concepts les plus prometteurs.
Nombre de jeunes pousses innovantes périclitent par faute de compréhension et d’anticipation et de leur croissance.
Pour une Start up comme BCM Energy, le challenge est de gérer la croissance en assurant une transition sereine de l’exaltation des premières années à la maturité.
Il est aussi de structurer l’organisation afin de pouvoir pérenniser et fluidifier son fonctionnement et accueillir de nouveaux talents.
Il est enfin d’anticiper de donner les moyens financiers d’accompagner le plan de croissance stratégique dans la sérénité.
- CA 2018 : 20 millions Euros
- CA 2019 : 35 millions Euros
- CA 2020 prévisionnel : 60 millions Euros
De 20 à 65 salariés en 1 an (dont l’intégration d’une entreprise de 20 personnes en croissance externe). Prévisionnel à 100 collaborateurs en 2020.
2. Prévoir les besoins de trésorerie
Un tel développement s’accompagne d’un BFR très important.
- Augmentation de la masse salariale
- Cout d’acquisition des clients (BtoB et BtoC)
- Garantie de dépôt sur les besoins en énergie
- Investissements capitalistiques sur les acquisitions de KW
- Développement et programmation
- …
Ces coûts de développement ne sauraient être couverts par la seule division « trading » et les revenus récurrents des abonnements.
Après avoir rédigé un business plan détaillé et sans concession, le choix stratégique des associés de BCM a été le renforcement du haut de bilan afin :
- D’accompagner la croissance (besoin en tréso)
- Développer des synergies
- Ouvrir de nouveaux marchés
3. Contrôle des Coûts et de l’endettement
Cette structuration passe, bien évidemment, par la création d’une Direction Administrative et Financière sous la responsabilité d’un des trois associés fondateurs :
- Relations avec les partenaires financiers et le Cabinet Comptable
- Relations avec les investisseurs
- Élaboration et contrôle du budget
- Formalisation des objectifs (KPI) et des tableaux de bord par division
- Mise en place d’une comptabilité analytique
- Mise en place d’outils structurants
- …
Cette DAF est renforcée par le recrutement d’un Responsable Administratif et d’un Contrôleur de Gestion supplémentaires.
4. Obtenir 1 plan de refinancement
En renforçant son haut de bilan, BCM assure le financement de sa croissance sur un plan à 3 ans.
Ressources «Humaines»
1. L’évolution des dirigeants
L’équipe dirigeante a souhaité un accompagnement individuel (coaching) et collectif (conseil opérationnel) afin de mieux préparer la deuxième phase de son aventure entrepreneuriale.
Cette réflexion a mené à :
- La création d’un Codir (hebdomadaire)
- La création du Conseil Stratégique (Conseil de surveillance) trimestriel.
- La cession de parts aux membres du Codir (membres de la «1ère équipe»)
2. Modification de la structure
Afin de structurer la société, de renforcer son attractivité par rapport à des investisseurs cibles et de préparer l’accueil de ceux-ci
- Définition, formalisation des postes et des feuilles de route
- Création des «directions» DG, DAF, DSI, DMKG, DCO et des équipes s’y rattachant
- Mise en place des organes de gouvernance (CODIR et Conseil de surveillance)
- …
3. La nouvelle donne pour les hommes de la «1ère équipe»
Cette réorganisation a généré, pour les collaborateurs de la première heure, un certain nombre de peurs et de résistance aux changements :
- Perte du foisonnement, de la spontanéité des échanges et de «l’esprit start-upper»
- Perte de l’autonomie et de l’enthousiasme initial
- Peur de la rigidité des process et des contraintes
- Peur d’être «désintégré» au sein d’un groupe
L’adoption a été acquise à travers :
- Du co-développement impliquant l’ensemble des collaborateurs volontaires
- De la définition des process et des outils structurants les plus pertinents pour assurer le cadre tout en conservant la fluidité des échanges
- La mise en place de comités transversaux afin d’envisager l’ensemble des points de vues et des contraintes des différentes divisions
- La multiplication des occasions d’échanges transverses et de consultation.
4. Le recrutement et l’intégration des nouveaux
Dans un marché de l’emploi hyper tendu et hyper concurrentiel,
- Travail en profondeur sur la communication de BCM et de sa cohérence autour de ses valeurs
- Création d’un guide d’accueil et d’un tutorat pour l’intégration de chaque nouveau collaborateur
5. La sauvegarde de la culture d’entreprise
Formulation des valeurs spécifiques à BCM et incarnées par les fondateurs afin de :
- définir et préserver l’ADN de BCM dans son développement
- intégrer des nouveaux talents compatibles avec cet ADN
- confronter les investisseurs potentiels aux valeurs fondatrices de BCM
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