L’incarnation pour un dirigeant ou un manager

L’incarnation pour un dirigeant ou un manager

Jacques Gillot-Péan 2022

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

Sans vouloir reprendre l’origine de l’idée d’incarnation avec le dogme chrétien selon lequel le Verbe divin s’est fait chair en Jésus-Christ, ou l’auto proclamation attribuée à Louis XIV (« l’état c’est moi ») ni même la formule traditionnelle avec laquelle le Président du Conseil Constitutionnel signifie au Président de la République nouvellement élu son entrée en fonction (« maintenant vous incarnez la France »), la notion d’incarnation reste au cœur de la légitimité et de la réussite de tout dirigeant.

 

L’incarnation, définition : personne ou chose qui apparaît comme la représentation, la manifestation concrète d’une réalité abstraite (« cet homme est l’incarnation du mal » ou le glaive et la balance comme allégories de la justice).

Alors comment se pose la question de l’incarnation pour un dirigeant d’entreprise face aux notions un peu abstraites que sont le leadership, l’autorité ou le pouvoir ? Existe-t-il une formule magique pour incarner son entreprise ou pour incarner son projet ? L’incarnation du pouvoir ou de l’autorité appartient-elle au champ de l’inné ou à celui du culturel ? Pour incarner quelque chose de plus grand que soi doit-on pour autant jouer un rôle, ne plus être naturel mais surnaturel ?

 

Après avoir clarifié la distinction entre l’autorité et le pouvoir ainsi que leurs pièges, nous essaierons de qualifier la place de l’incarnation pour un manager ou un dirigeant : en quoi le « patron » serait à l’entreprise ou le « chef » serait au projet ce que la tête est au corps.

 

 

 

Les fondations : autorité et pouvoir, des frontières floues

 

 

Souvent mélangées, ces deux notions peuvent être très différentes d’une personne à l’autre en fonction de leurs expériences managériales.

 

Exercer le pouvoir c’est finalement mettre en acte ce que l’institution nous a attribué : je suis « patron » ou je suis « chef » parce que je détiens (majoritairement) le capital, parce que j’ai été nommé ou parce que j’ai été élu. À ce titre, je peux (j’en ai même le devoir) prendre un ensemble de décisions pour agir et conduire un projet.

Le pouvoir peut s’exercer de façon unilatérale ou solitaire, il peut se partager voire se déléguer mais, dans tous les cas de figure, il ne doit sa légitimité qu’à son statut.

 

L’autorité, elle, ne nous est pas donnée par l’institution mais par celles et ceux qui la composent. Ce sont les autres qui décident si, oui ou non, nous faisons preuve d’autorité. Selon notre aptitude à poser un cadre équitable et non pas forcément égalitaire, à savoir arbitrer dans des situations difficiles, à ne pas chercher à être aimé mais juste, nos interlocuteurs, quels qu’ils soient (hiérarchie, collaborateurs, partenaires internes et externes), nous accorderont, ou pas, de l’autorité.

Le risque existe, alors, de jouer le rôle du « petit chef », du « copain » ou du « manipulateur » pour asseoir artificiellement son autorité.

 

 

 

Les piliers : autorité et influence, les postures

 

 

On voit bien que l’autorité n’est pas innée. Il existe quelques bases essentielles pour manager en toute sérénité et efficacité et certaines postures qui ont fait leurs preuves permettent d’augmenter son autorité.

Citons en cinq principales :

 

La compétence : une communauté humaine ne peut pas accorder du crédit ou une légitimité à un dirigeant qui donne le sentiment de ne pas « maîtriser son sujet ». Elle n’attend pas forcément un expert mais, en tout cas, une personne qui fait justement autorité sur le sujet.

 

Le sens : une communauté humaine a besoin de comprendre la vision de son chef de file. Le manager ou le dirigeant doit voir plus loin, plus largement et plus globalement que ses équipes : c’est ce qui lui permet de fixer les objectifs et de rendre « crédibles » les missions à conduire.

 

La transparence : une communauté humaine manifeste un appétit pour la communication. C’est en toute transparence que le dirigeant doit conduire les actions à la fois pour libérer les paroles et favoriser ainsi les innovations mais aussi pour renforcer la cohésion d’équipe (il y a des enjeux et non pas des jeux).

 

La confiance : une communauté humaine a besoin d’une dose plus ou moins forte d’autonomie. C’est en développant la confiance par la responsabilisation et la délégation que le dirigeant pourra s’appuyer sur les compétences des uns et des autres et ils feront de même.

 

La distance : une communauté humaine a besoin de sérénité en période de tension ou de crise. Un dirigeant qui, dans ces circonstances, garde le contrôle de ses émotions, prend du recul et de la distance pour ne pas sur réagir face aux critiques, fait preuve de calme. Cette posture lui confère une forme de sagesse.

 

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La clef de voûte : l’incarnation

 

 

Derrière les notions de pouvoir, d’autorité, d’influence, l’incarnation apparaît, elle, comme une sorte de clef de voûte de l’édifice : c’est à la fois tout cela et encore bien autre chose.

 

La « figure du dirigeant » reste une notion abstraite, une représentation globale et générale empreinte de stéréotypes : c’est pourquoi on demande souvent au dirigeant « d’incarner son entreprise » ou « d’incarner son projet » pour lui donner une plus grande lisibilité et une plus forte légitimité. On perçoit à travers ce mot (incarnation) le rapport complexe qui lie une personne à sa position, un individu à sa fonction.

La figure du dirigeant a partie liée avec l’image de l’entreprise. Le dirigeant ne se limite pas à « diriger » l’organisation, il semble être l’organisation, il est la « tête » d’un « corps » social. Parce que le dirigeant est à la tête de l’entreprise (notion abstraite du pouvoir) en tant qu’individu il doit en être aussi le visage, le discours, la chair (notions concrètes liées à l’incarnation) qui tend à donner à l’entreprise ou au projet une apparence saisissable, tangible, manifeste.

 

Aussi l’attitude du dirigeant, son verbe ou sa grammaire, ses tenues vestimentaires, son énergie ou sa dynamique personnelle contribuent à rendre perceptibles son pouvoir et son autorité. La responsabilité est aussi une question symbolique et culturelle. Tendre une main molle ou ferme pour saluer son interlocuteur, regarder droit dans les yeux ou fixer « la ligne bleue des Vosges », montrer un visage las et fatigué ou une allure tonique, avoir le cheveux gras et terne ou être rasé de frais, tout cela n’est pas anecdotique quand on veut représenter son entreprise.

L’incarnation du pouvoir et de l’autorité doit savoir être « spectaculaire », au sens même du spectacle : les dirigeants et les responsables doivent être parties prenantes d’un récit, d’une dramatisation, au sens fort, de l’action.

 

 

 

Conclusion

 

 

On voit bien que se poser la question de l’incarnation pour un dirigeant d’entreprise nous oblige à revisiter les notions de pouvoir, d’autorité, de leadership mais aussi de prendre en compte le ferment de tous ces éléments.

Il n’existe pas de formule magique. Il faut donc penser le dirigeant non pas simplement comme une fonction dans l’entreprise ou un statut dans une société mais comme un être doté d’une existence symbolique qui traduit une série de représentations culturelles, faisant intervenir des idéaux politiques autant que des considérations sociales.

 

Toutefois, aujourd’hui, du fait de la génération Y ou Z notamment, le « tout collaboratif » semble vouloir prendre le pas sur toute autre forme d’organisation. Doit-on y voir l’effacement progressif du sacro-saint référentiel qui constitue le manager dirigeant ? Le débat est lancé.

 

 

 

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