Jacques Gillot-Péan 2022
Introduction
Au sein de l’entreprise, les premières notions qui viennent à l’esprit quand on parle de ressources humaines sont la compétence (condition pour la performance) et le potentiel (levier pour l’évolution). Il existe, parfois, une confusion des sens entre compétence et potentiel lorsqu’il s’agit d’identifier, d’évaluer ou d’accompagner des talents.
Le territoire de la compétence se réduit-il à la fameuse trilogie savoir/savoir-faire/savoir-être ? Si elle reste une condition nécessaire de la performance, la compétence est-elle pour autant une condition suffisante ?
Sur quels éléments s’appuie le concept de potentiel ? Que mesure-t-on exactement quand on évalue le potentiel d’une personne ? Quels sont les conditions de succès pour en faire un outil puissant de gestion des ressources humaines ?
Le champ des compétences
La vocation originelle de la fonction RH est de fournir, maintenir et accompagner, en quantité et en qualité, les besoins en compétence d’une organisation autour d’un projet, pour satisfaire à la totalité des missions, objectifs et actions nécessaires.
Toutefois, nous avons trop tendance à assimiler la compétence d’une part au diplôme et d’autre part au triptyque savoir/savoir-faire/savoir-être ce qui génère plusieurs confusions :
- La confusion entre la compétence et la connaissance : la compétence ne saurait se résoudre à la seule détention de la connaissance, elle implique une performance technique que seule l’expérience permet d’acquérir. Ce n’est pas parce que je connais (même « par cœur ») le code de la route Rousseau que je sais conduire.
- La confusion entre la compétence et la maîtrise d’une pratique : la cristallisation d’une expérience en habitude empêche la compétence de s’exprimer car on ne se remet plus en cause, on ne confronte plus sa pratique aux nouveaux contextes, on perd toute dynamique d’innovation. Certains responsables s’illusionnent, parfois, en disant d’un collaborateur « il est forcément compétent puisque ça fait 15 ans qu’il exerce cette activité » ; il a, peut-être, acquis une expérience professionnelle durant un ou deux ans et reproduit la même chose (habitude) pendant le reste du temps.
- La confusion entre la compétence et l’adoption de comportements adaptés : le fait de savoir s’y prendre avec les autres comme avec soi-même reste sans nul doute une composante de la compétence comme les connaissances et la maîtrise technique. Cependant, le savoir-être fait rarement l’objet d’un apprentissage professionnel et il tourne, parfois, à la psychothérapie initiatique.
Les fameuses « compétences clés » dont se gargarisent certaines directions des ressources humaines dans leur démarche d’évolution des collaborateurs ne se décrètent pas (liste standard et universelle) et ne se mettent pas « en ligne » (renseignement d’un questionnaire à distance sans entretien) pour nourrir des statistiques. Elles s’élaborent et se définissent de façon très opérationnelle grâce à des échanges pluriels entre les différents acteurs concernés sur la base de la culture et des orientations de l’entreprise ainsi que sur l’expérience des professionnels.
Chacun évolue sans cesse de l’incompétence à la compétence en s’adaptant à une situation concrète. Finalement la « valeur » d’une personne se mesure davantage à la manière dont il réagit à ses incompétences (générant évolution et adaptation) qu’aux compétences acquises dont il peut faire montre.
Le champ du potentiel
Le concept de potentiel désigne ce capital inné et acquis, génétique et socio-culturel qui nous permet non seulement d’être ce que nous sommes mais encore et surtout de devenir ce que nous pouvons être. Le potentiel n’est pas un savoir ou un savoir-faire particulier mais un pouvoir savoir et un pouvoir savoir-faire qui nous permet d’acquérir des compétences spécifiques. Un bloc de marbre existe en tant que tel mais il est en puissance statue, table ou échiquier.
Sur un plan opérationnel le potentiel recouvre trois niveaux de réalité qu’il convient de bien distinguer sous peine de confusion :
- Le potentiel théorique : il s’agit d’une terra incognita dont nous ignorons par définition la topologie réelle et qui correspond à cette idée largement répandue selon laquelle l’homme n’utilise que 10% de ses facultés mentales.
- Le potentiel personnel : c’est le potentiel propre à une personne tel qu’il se trouve modelé par l’ensemble des facteurs et conditions de développement : dit autrement, c’est une partie (petite partie) du potentiel théorique.
- Le potentiel mobilisé : être doté d’un potentiel personnel « x » n’implique pas qu’on le réalise. Par contre, tout ce qu’on réalise sera nécessairement inscrit dans le cadre de ce potentiel personnel et le degré de mobilisation du potentiel ne peut, par définition, jamais excéder celui-ci.
Tous les hommes sont dotés d’un potentiel théorique identique (car propre à chaque espèce) ; chaque homme possède un potentiel personnel singulier (histoire personnelle de chacun) ; enfin, le degré de mobilisation du potentiel est variable selon les personnes (dépend de facteurs exogènes et endogènes variables).
On ne sait rien du potentiel en tant que tel. On sait seulement que tout ce qu’on peut faire, dire ou montrer résulte des capacités de base dont nous sommes dotées et dont le potentiel est constitué.
Les capacités de base
Il y a sept capacités de base, la capacité de conception étant composée des capacités de créativité et des capacités de structuration :
- Capacités de compréhension : saisir le sens exact des mots, des concepts, des idées, des enchainements d’idées dans un texte écrit ou dans les propos d’un interlocuteur
- Capacités de conception : produire soi-même des idées et les mettre en forme pour les communiquer par voie écrite ou orale, ce qui suppose :
1/ des capacités de créativité (expression d’idées originales et pertinentes sur un sujet),
2/ des capacités de structuration (enchaînement logique des idées permettant d’exposer, de démontrer, d’argumenter)
- Capacités de mémorisation et de concentration: restituer des éléments essentiels d’un texte ou d’une situation
- Capacités d’expression écrite : élaborer un texte écrit formulé de telle sorte qu’il donne à la communication l’impact désiré
- Capacités d’expression orale : maîtriser la communication verbale sur le triple plan de la voix, du langage et des attitudes face à autrui
- Capacités de négociation : maîtriser l’art de persuader, de convaincre et de réfuter les objections dans des situations de désaccord ou d’opposition
- Capacités relationnelles : développer des attitudes et des comportements à l’égard des autres favorisant la communication et la cohésion
Ces capacités recouvrent le champ du potentiel dans son ensemble. Tout ce que l’on pourrait songer à rajouter comme l’organisation personnelle, la gestion du temps, l’animation ou le management ne sont pas, à proprement parler, des capacités mais des compétences qui résultent de ces capacités.
On remarquera que la compréhension se situe au premier rang. Sans elle on ne peut rien espérer : ni concevoir, ni communiquer.
Les conditions de réussite pour un bilan
Pour réaliser une évaluation du potentiel fiable, plusieurs conditions doivent être remplies :
- Souscrire à une forte déontologie: il faut avoir quelques principes simples mais indispensables : transparence du protocole et des résultats ; identité de contenu entre le commentaire oral et le rapport écrit ; identité entre le rapport à la personne et celui donné à l’entreprise
- Favoriser la mobilisation: la personne évaluée doit être consciente des enjeux, informée du protocole et accueillie avec courtoisie sans fausse démagogie. Pour autant, une incapacité à surmonter la situation « artificielle » de l’évaluation fait partie intégrante du potentiel lui-même
- Isoler les capacités : une évaluation de potentiel n’est pas une impression globale mais une mesure précise et justifiée de chacune des capacités de base ; elles doivent être, pour ce faire, isolées
- Se prémunir contre les risques de contamination: le risque de se laisser influencer dans un sens ou dans un autre par un résultat obtenu lors des premières capacités analysées ; on ne parvient pas, consciemment ou non, à se dégager de cette première impression
- Se doter d’un double regard: effectuer l’évaluation à deux consultants permet de se prémunir efficacement contre tout risque de séduction, de rejet ou d’aveuglement
- Varier les situations : plus une personne est apte à gérer des situations différentes, plus grand sera son potentiel. L’idéal est de concevoir un protocole d’évaluation incluant le plus grand nombre de situations possibles (personne seule, entretien, face à un groupe, au sein d’un groupe,…)
Conclusion
Ce n’est évidemment pas un hasard si de plus en plus nombreuses sont les entreprises qui s’intéressent à la problématique du potentiel. Aujourd’hui le champ des compétences est relativement bien identifié, géré et évalué par les managers de premier et deuxième niveau. Ce n’est pas le cas pour ce qui concerne le champ du potentiel.
Parvenir à faire face aux changements actuels et futurs implique la mobilisation aigüe de ses capacités d’adaptation ; non plus seulement le savoir, le savoir-faire ou le savoir-être mais le pouvoir savoir, le pouvoir savoir-faire et le pouvoir savoir-être.
La démarche d’évaluation du potentiel apparaît comme un puissant outil de gestion des ressources humaines qui peut remplir de nombreuses fonctions : l’orientation professionnelle, l’identification des besoins individuels de formation, les bilans de carrière, l’aide au recrutement interne et externe, la préparation à un monitoring d’un dirigeant, le repérage de personnes dotées d’un fort potentiel pour constituer un vivier de futurs dirigeants, l’aide à la gestion du personnel dans le cadre d’une fusion (mobilité, reconversion, gestion des sur ou sous-effectifs).
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