Conduite du changement

La dynamique du changement

La dynamique du changement
Jacques Gillot-Péan 

 

La dimension « technique » du changement répond à des règles de contenu et de méthode somme toute très rationnelles. La dimension « humaine » du changement demande au Dirigeant et aux managers d’appréhender et d’intégrer les différents états relationnels des protagonistes pour réussir la conduite du changement.

Une personne ou une collectivité humaine confrontée au changement doit obligatoirement passer par un certain nombre de phases :

 

 

1. La conscientisation :

Non pas de la nécessité, mais de l’inexorabilité du changement. Le passé est passé. Tout retour en arrière est impossible.

 

Chacun vit sa prise de conscience à son rythme propre au regard de son contexte, de sa personnalité, de ses intérêts, de ses fantasmes et de ses résistances.

 

Tout l’enjeu porte ici sur la capacité du manager à accélérer et à orchestrer cette phase de conscientisation pour l’ensemble des acteurs. De plus, il doit affronter deux situations radicalement opposées :

  • La maturation lente, en général face à des changements décidés à l’interne (des années pour se persuader qu’il est préférable de rompre une liaison, d’arrêter de boire, de fumer).
  • La rupture instantanée, en général face à des changements impulsés par l’externe (« la guerre vient d’être déclarée », « mon conjoint m’a quitté », « mon entreprise a été rachetée ou liquidée »).

 

 

2. L ‘anxiété :

L’anxiété survient dès la prise de conscience de la rupture générée par le changement. Le mécanisme de conscientisation ne produit aucun soulagement. Bien au contraire, il provoque un état mélancolique proche du « travail de deuil » .

 

L’anxiété vient de cette absence de repère, de ce vide (l’avenir n’a pas encore de contour discernable).

 

La question essentielle est celle de la durée de cette phase : un jour, un mois, un an…et non de son existence (si l’anxiété ne se manifeste pas, il est à craindre que la conscientisation n’ait pas eu lieu). Le pilote du changement doit savoir :

  • Accepter et anticiper comme une donnée incontournable ce phénomène d’anxiété (qu’il a, lui-même, vécu et dépassé) et ses manifestations, parfois les plus extrêmes (rejet, confit, déni du réel, argumentation stérile, raisonnement erroné, incompréhension, opposition insensée).
  • Ne pas chercher à convaincre, encore et toujours, une collectivité humaine qui ne veut pas et ne peut pas entendre (à ce moment là) l’inexorabilité du changement.
  • Réduire, au minimum et pour le plus grand nombre, la durée de cette phase d’anxiété par la sécurisation apportée grâce à l’édification de nouveaux repères.

 

 

3. La sécurisation :

La sécurisation n’est pas à rechercher par des discours lénifants de type « tout se passera bien ». Elle provient de la capacité du manager et de son équipe à :

  • Formuler un projet crédible (un cap, un dessein, une structure, des objectifs, un plan d’action).
  • Edifier de nouveaux repères (règles, méthodes, process) permettant à la majorité de la collectivité humaine de saisir son rôle, de visualiser sa place, de discerner un avenir « possible ».
  • Mettre en branle les acteurs, à faire passer le plus grand nombre de la position « passive » (on subit le changement) à la position « active » (on agit pour le changement).
  • Rassurer au plus vite toute personne ayant sa place dans le train du changement. Il s’agit également de dire précisément, le cas échéant, qui n’a pas sa place .

 

 

4. Le basculement :

Le basculement (ou la mise en acte du changement) est marqué par le passage de l’ancien au nouveau monde . Cette phase est, souvent, placée sous le signe du regret et de la nostalgie (« c’était mieux avant », « ça ne marche pas » « tout ça pour ça »….).

 

Les tâtonnements, les imprévus, les impasses organisationnelles ou procédurales génèrent automatiquement le syndrome du « paradis perdu ».

 

Face à cette situation, le manager et son équipe de direction doivent :

  • Rester serein et soudé. Il est normal qu’une nouvelle organisation mette du temps à se roder, qu’une nouvelle plateforme informatique conduise à des régressions, que la performance d’un nouveau système soit, dans un premier temps, peu probante. Les moindres signes de doute ou d’affolement des dirigeants sont épiés par la collectivité humaine et peuvent conduire à un retour au stade de l’anxiété.
  • Garder le cap tout en mettant en chantier l’ensemble des travaux requis pour améliorer, peaufner, compléter, adapter le nouveau système.
  • Responsabiliser le plus grand nombre d’acteurs possible au regard de l’amélioration de la performance liée au changement à l’œuvre (groupes-Projet, suivi des anomalies, groupes de travail, mission dédiée…).

 

 

5. L’intégration du changement :

L’intégration du changement (ou consolidation) est caractérisé par l’appropriation du nouveau système (quel qu’il soit) et sa banalisation. Il est dorénavant normal de fonctionner ainsi. Bien sûr, des nostalgiques racontent toujours leurs souvenirs d’anciens combattants, du bon vieux temps. Cela fait partie du folklore et de l’histoire de l’entreprise.

 

Au cours de la phase d’intégration, le système d’opinion de la collectivité humaine évolue :

  • Un tiers des personnes est (en règle générale et si le changement est correctement piloté) « acquis à la cause » dès la phase de sécurisation : il s’agit des champions et des acteurs du changement.
  • Un tiers est dans l’expectative, il doit rallier le changement lors de la phase d’intégration pour le faire advenir.
  • Un tiers est hostile, il doit progressivement devenir neutre en dehors des 10% d’opposants par principe.

 

Une fois le changement consolidé et intégré, il devient monnaie courante, la norme de fonctionnement. Avec le temps, les facteurs externes, les nouvelles générations de dirigeants et de collaborateurs, il s’use et se nécrose.

Survient, alors, un nouveau cycle marqué par la conscientisation chez le stratège de la nécessité de conduire un nouveau changement.

 

 

Phases - dynamique de changement

 

 

 

 

Illustration :
La transformation d’un métier en Caisse d’Epargne

La situation de départ génératrice du changement

Depuis la création de la Direction de la Gestion Privée (environ 8 huit ans) dans une Caisse d’Epargne, les 30 Gestionnaires de Patrimoine vivaient l’exercice de leur métier de façon sereine et « gratifiante » : confortablement installés dans leur statut « d’expert », ils répondaient aux sollicitations du réseau commercial pour proposer aux clients haut de gamme des placements adaptés à leurs profils.
 
Ce segment de clientèle devenu stratégique pour tous les établissements financiers, la concurrence s’est exacerbée et le champ des compétences des gestionnaires (sa valeur ajoutée) est devenu un critère déterminant pour conquérir et/ou fidéliser cette clientèle exigeantes.
 
Ce métier en Caisse d’Epargne a, donc, été profondément modifié pour conserver un avantage concurrentiel avec, notamment, trois changements conséquents :
 
  • L’attribution d’un portefeuille dédié pour chaque Chargé d’Affaires avec une approche pro-active de chaque client du portefeuille et non plus seulement une réponse aux sollicitations
  • L’utilisation quasi systématique d’un bilan patrimonial complet du client comme base du contrat de relation avec une facturation de cette prestation (petite révolution dans une culture du « service gratuit »)
  • La construction de solutions multi-dimensionnelles pour répondre aux besoins de cette clientèle (pas seulement les placements mais des choix structurants incluant les questions de succession ou de transmission, des options de financements, des arbitrages dans le système de protection jusqu’à la gestion au quotidien de la relation avec sa banque).

 

 

Bref, passer d’un métier de Conseiller Epargne à un métier d’Expert Patrimonial.

 

 

Les étapes dans la dynamique du changement

1. La conscientisation

Avant d’officialiser le changement du métier de Gestionnaire de Patrimoine, l’entreprise a souhaité organiser avec tous les acteurs concernés des réunions d’information, des groupes de travail, des ateliers participatifs pour partager le contexte, les enjeux et les orientations stratégiques de la Caisse d’Epargne.

 

Cette phase qui a duré 3 mois devait aussi permettre de construire collégialement les référentiels du nouveau métier et les éléments préparatoires pour maîtriser ce nouveau métier.

 

Tout le monde y participa mais rien ne se passa concrètement. La grande majorité des Gestionnaires au regard de leur personnalité, de leurs intérêts, de leurs fantasmes ou de leurs résistances créaient (consciemment ou inconsciemment) les conditions pour que le « dossier » ne devienne pas une réalité.

 

Le changement restait hypothétique, possible ou probable mais jamais inexorable.

 

La phase de conscientisation n’advint que lorsque que Directoire annonça officiellement la date de « la bascule » (1er janvier 2018).

 

 

2. L’anxiété

Dès l’annonce de cette date, les manifestations d’anxiété apparurent car tout retour en arrière devenait impossible. Si 2 ou 3 Gestionnaires entrèrent résolument dans la nouvelle configuration, la majorité développa un discours d’incompréhension, d’opposition, de rejet ou de déni face à ce changement « programmé ».

 

Cette phase d’anxiété provient d’une absence de repère, d’un vide car l’avenir n’a pas encore de contours discernables. Les discours rassurants voire lénifiants des managers (« vous verrez, ça se passera bien ») ne changent rien. Il a fallu rentrer le plus rapidement possible dans la phase de sécurisation par l’édification des nouveaux repères.

 

 

3. La sécurisation

Il s’est agit, dans cette phase de sécurisation qui a duré 6 mois, de :

 

  • Formaliser un projet concret et échéancé ( le cap, la structure, les objectifs, le plan d’action)
  • Rédiger et partager les nouveaux repères qui rendent possible le changement (référentiel, méthode, outils, supports, …)
  • Former les acteurs aux nouvelles compétences requises par le métier (3 fois deux jours de formation)
  • Mettre en branle les acteurs (des ateliers métiers) pour qu’ils deviennent le plus vite possible les sujets du changement et non pas les objets.
  • Proposer, au plus vite, à ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas exercer ce nouveau métier des solutions professionnelles de reconversion très honorables

 

4. Le basculement

C’est le passage de l’ancien monde au nouveau monde. Cette phase reste délicate car marquée encore par le doute (« tout ça pour ça », « c’était mieux avant ») d’autant que tout changement génère des tâtonnements, des imprévus, des bugs.

 

Au cours de cette période de «rodage » (environ un an) le moindre signe de crispation ou d’affolement des managers peut ramener les acteurs au stade de l’anxiété.
 
Il a fallu durant cette année mettre en place des groupes de travail pour améliorer, compléter, adapter le nouveau système. Il a fallu également proposer des accompagnements personnalisés pour ceux qui rencontraient des difficultés et organiser un suivi valorisant les succès.
 
 

5. La consolidation

C’est l’appropriation et la banalisation du nouveau système. Le nouveau métier de Gestionnaire de Patrimoine est désormais compris, mis en acte et il répond aux orientations stratégiques de la Caisse d’Epargne. Bien sûr des nostalgiques racontent encore des souvenirs « d’anciens combattants » (ça fait partie du folklore de l’entreprise) mais concrètement il est dorénavant normal de fonctionner comme ça.
 
Sur les 30 Gestionnaires de Patrimoine, un seul a quitté l’entreprise en espérant que l’herbe « serait plus verte ailleurs » et deux n’ont pas encore atteint les attendus du métier.
 
Le changement est consolidé et intégré, il devient « monnaie courante ». Un nouveau changement se profile : la Direction de l’entreprise, face au succès de l’opération et aux perspectives du marché, a décidé de doubler les effectifs des Gestionnaires de Patrimoine et de restructurer l’organisation de la Gestion Privée avec une structure de middle management.
 
 
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